Initialement publié sur Survie 20/02/2025
Fin janvier, le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, s’est emparé de la ville de Goma, dans l’est du Congo-Kinshasa. Un conflit dont les enjeux ne sont pas nécessairement ceux mis en avant par les protagonistes. Et que la communauté internationale ne semble pas prête à stopper…
Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), est tombée fin janvier aux mains du M23, et ce malgré la présence des Casques bleus de la mission des Nations Unies (Monusco) qui ont participé à la défense de la ville. On compte, selon les ONG présentes, au moins 3000 morts et au moins autant de blessés, dont une majorité de civils.
Cet épisode vient endeuiller une région déjà profondément martyrisée par trois décennies de conflits, de pillages et de terribles exactions commises par divers groupes et forces armées. Avant cet assaut, on comptait déjà entre 700 000 et 1 million de personnes déplacées dans des camps de réfugiés autour de Goma du fait de la reprise des hostilités, impliquant le M23 à partir de novembre 2021. Les dirigeants de ce groupe armé sont issus d’une précédente rébellion, le Congrès national pour la défense du peuple, les deux étant soutenus par le Rwanda. Ils ont été brièvement intégrés à l’armée congolaise après un accord de paix signé en 2009, dont ils ont dénoncé la mauvaise application en 2012 en lançant le Mouvement du 23 mars (M23). Militairement vaincu fin 2013, le M23 a refait surface en 2021.
Les renforts de la puissante armée rwandaise et la fourniture de matériel militaire de pointe lui ont rapidement permis de s’imposer comme le principal groupe armé de la région, qui en compte plus d’une centaine. Un soutien du Rwanda documenté par plusieurs rapports de l’ONU. En 2024, le nombre des militaires rwandais aurait même dépassé celui des combattants du M23 et les experts onusiens considèrent qu’ils exercent de facto « le contrôle et la direction » des opérations, se rendant complice à ce titre des violations des droits humains – bombardements indiscriminés, viols, exécutions, tortures, recrutement forcés…
Des justifications critiquables
M23 et Rwanda justifient leur action par la défense de la communauté tutsie du Nord-Kivu. Mais les motifs qu’ils avancent doivent être distinguées de motivations plus profondes et pas nécessairement exprimées publiquement.
En effet, si la stigmatisation des Tutsis du Congo est une réalité historique indéniable et la question de leur accès à la propriété foncière un problème non résolu, ces injustices semblent surtout faire figure de prétexte. La résurgence du M23 n’est pas précédée par une recrudescence particulière des violences dans sa zone. Au contraire, c’est la reprise de la guerre et le soutien militaire du Rwanda qui ont eu pour effet de raviver dramatiquement le racisme et les persécutions contre les Tutsis, notent plusieurs chercheurs. La communauté tutsie n’a pas non plus été épargnée par le M23 en matière de recrutements forcés, y compris d’enfants, dans les camps de réfugiés.
Le président rwandais Paul Kagame continue officiellement de nier la présence de ses militaires sur le sol congolais… tout en conditionnant leur retrait à la neutralisation préalable des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Cette milice, formée en 2000 par des génocidaires rwandais en exil, perpétue l’idéologie du génocide de 1994 et nourrit des projets de reconquête du Rwanda où elle mène sporadiquement attaques et assassinats. Sa neutralisation est une exigence légitime du Rwanda, mais lorsque le président congolais Félix Tshisekedi a cherché à donner des gages à la communauté internationale sur ce point, il a échoué à imposer cette ligne à ses officiers.
Dans l’argumentaire du Rwanda, la collaboration des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec les FDLR justifie donc l’action du M23. Mais là encore la chronologie est inversée : avant 2021, le groupe parait affaibli et incapable de déstabiliser le Rwanda, selon les déclarations mêmes du ministre rwandais de la Défense de l’époque. C’est pour faire face à la montée en puissance du M23 que les FARDC ont réactivé leurs liens avec les FDLR, les aidant à se renforcer pour les utiliser comme supplétifs au combat.
Une guerre pour le pillage ?
Le contrôle des mines artisanales ou semi-industrielles, le prélèvement de taxes et la maîtrise des voies d’exportation illégale des minerais vers les pays voisins (Rwanda, Ouganda et Burundi) constituent un carburant incontestable des principaux conflits à l’est du Congo, mais pas nécessairement leur cause première. Celui impliquant le M23 ne fait pas exception. Ses conquêtes territoriales lui ont permis de se financer et de faire converger davantage de flux illicites en direction du Rwanda. Ceux-ci n’avaient toutefois pas attendu l’offensive du M23 pour exister. Certains caciques congolais y trouvaient leur compte et les trafics ont même donné lieu à des collaborations opportunistes et contre-nature entre une milice alliée des FARDC et le M23. Les exportations rwandaises de Coltan sont par exemple passées de 100 à 200 tonnes par mois entre 2022 et 2023.
Un phénomène encore accru après la prise de contrôle de la mine de Rubaya par le M23 en avril 2024, mine qui produirait de 20 à 30 % du coltan mondial. On a alors assisté selon l’ONU à « la plus grande contamination jamais enregistrée à ce jour des chaînes d’approvisionnement en minerais dans la région des Grands Lacs ». La « contamination » désigne le camouflage de l’origine réelle des produits exportés dont la traçabilité doit théoriquement être assurée pour interdire l’exploitation des « minerais de sang ».
Une question également sécuritaire
Si la résurgence du M23 a renforcé la captation des ressources congolaises par le Rwanda, celle-ci préexistait largement. La chronologie des relations entre les pouvoirs congolais, rwandais, mais aussi ougandais et burundais, amènent ainsi certains analystes à relativiser le poids des enjeux miniers au regard des questions sécuritaires, même si ces deux aspects sont étroitement imbriqués. Le début du premier mandat de Tshisekedi, élu en 2018, avait été marqué par une phase de rapprochement militaire et économique avec le Rwanda. Les forces rwandaises avaient été autorisées à mener des opérations ciblées au Congo pour éliminer le chef des FDLR et celui d’une faction dissidente. Le président Tshisekedi avait également accordé à une société rwandaise le droit de raffiner l’or d’un important gisement congolais.
La lune de miel a duré jusqu’à la mi-2021, mais semble avoir été progressivement compromise par le rapprochement de la RDC avec deux autres voisins : l’Ouganda et le Burundi. Après des attentats commis en novembre 2021 sur son sol, l’Ouganda a pu déployer plusieurs milliers de soldats en RDC pour lutter contre le groupe Allied Democratic Forces (ADF), affilié à l’État islamique. Des accords économiques étaient également conclus entre les deux pays au détriment des intérêts rwandais. Simultanément, le Burundi a déployé son armée au Sud-Kivu contre un groupe rebelle burundais. C’est vraisemblablement cette double projection de forces hostiles à proximité de sa frontière qui a été perçue par le Rwanda comme une menace sécuritaire autant qu’économique, et l’a conduit à soutenir le retour du M23.
Un conflit régional
Comme cela est fréquemment rappelé, ce conflit est de fait un conflit régional et les risques d’embrasement sont réels. En 2022, pour faire face à l’agression rwandaise, la RDC a adhéré à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et a sollicité une aide militaire. Une force s’est déployée, majoritairement composée de soldats kényans, que Tshisekedi a congédiée l’année suivante, l’accusant d’inaction, voire de complicité avec le Rwanda et le M23. Seuls les soldats burundais sont restés (ils seraient aujourd’hui 10 000 à participer à la défense du Sud-Kivu contre la progression du M23).
Le pouvoir congolais s’est alors tourné vers la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) qui a, à son tour, envoyé une force de maintien de la paix (SAMIDRDC), composée principalement de soldats sud-africains. Lors de la prise de Goma, treize d’entre eux ont perdu la vie, et le ton est alors monté entre le président sud-africain Cyril Ramaphosa et son homologue rwandais. Le premier a qualifié les forces rwandaises de « milices », et Paul Kagame a exigé le départ de la SAMIDRDC, qualifiée de force belligérante, avec laquelle il n’a pas exclu une « confrontation ».
L’Ouganda, dont les relations avec Kinshasa et avec le M23 sont ambivalentes, a également renforcé sa présence militaire sous couvert de lutte contre les ADF. Quant au Burundi, qui a toujours été très hostile au régime rwandais (les milices du parti au pouvoir sont coutumières des exactions anti-tutsies), son président Évariste Ndayishimiye a accusé le Rwanda de « préparer quelque chose » contre son pays, assurant qu’il n’allait pas « se laisser faire ». Tshisekedi cherche par ailleurs à obtenir un soutien militaire supplémentaire de la Tanzanie, de la Namibie et du Zimbabwe. Une configuration qui, si elle dégénérait, ne serait pas sans rappeler la deuxième guerre du Congo, la « guerre mondiale africaine », de 1998 à 2003.
Pas de blanc-seing pour Tshisekedi
Dénoncer la violation de l’intégrité territoriale congolaise par le Rwanda, sa participation au pillage des minerais et sa complicité dans les violations des droits humains qui sont commis ne signifie pas pour autant donner quitus au régime Tshisekedi, qui porte également une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire à l’Est. Tout d’abord, dénoncent les militants anti-corruption congolais, son régime a reproduit les pratiques du régime Kabila en matière de prédation. Il a aussi renoncé à réformer les lois minières favorables aux multinationales étrangères et dictées par les institutions financières internationales.
Il s’est ainsi privé des moyens de restaurer une véritable administration à l’est du pays ou d’engager une réforme pour remédier à la faiblesse chronique de l’armée nationale, gangrenée par la corruption et la désorganisation. Il a préféré s’appuyer sur deux sociétés militaires privées : Congo Protection, dirigée par un Roumain passé par la Légion étrangère française, et Agemira, dirigée par des anciens militaires français. Il a surtout encouragé la constitution d’une coalition de groupes miliciens anti-M23 parmi lesquels on trouve les FDLR déjà mentionnés, mais également la mouvance dite des « wazalendo » (les patriotes), qui ont multiplié les exactions et contribué à souffler sur les braises de la haine ethnique. Réduire, comme le fait Tshisekedi, la crise de l’est de la RDC à l’agression rwandaise est un moyen commode pour camoufler un bilan politique et militaire particulièrement décrié par son opposition et la société civile.
Que veut vraiment le M23 ?
Après la prise de Goma, des interrogations demeurent sur la stratégie et les objectifs du M23 et de son parrain rwandais. « Goma ne peut pas être une fin en soi », a révélé l’ambassadeur itinérant du Rwanda, Vincent Karega, et la trêve unilatérale décrétée au lendemain de la prise de Goma par le M23 n’a pas empêché ce dernier de poursuivre sa progression en direction de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu. Le porte-parole de l’Alliance fleuve Congo (AFC), l’aile « politique » du M23 récemment constituée sous la direction de Corneille Nangaa, un transfuge du régime Tshisekedi, a quant à lui déclaré vouloir renverser le président congolais. Il paraît désormais certain qu’il ne s’agit pas seulement de permettre au M23 d’accéder à la table des négociations, exigence rwandaise jusque-là refusée par Tshisekedi, ou même d’obtenir une réintégration au sein de l’armée nationale. Le M23 ne se contente pas de prendre le contrôle des richesses des zones conquises, il y nomme des administrations parallèles.
Selon certaines hypothèses, il pourrait s’agir de faire officialiser ce contrôle administratif sur les territoires du Kivu, permettant ainsi au Rwanda de se constituer une zone tampon à sa frontière, dirigée par un allié. En cas de refus, le Rwanda tentera-t-il de rééditer le scénario de 1996, lorsqu’il avait, avec l’Ouganda, provoqué la chute de Mobutu et porté Kabila (père) au pouvoir ? Et quelle marge de manœuvre lui laisseraient alors les pays voisins et la « communauté internationale » ?
Impunité
Voilà les questions qui doivent vraisemblablement agiter le président congolais aujourd’hui tant le soutien diplomatique dont il bénéficie paraît fragile. Si les pays de la SADC ont exprimé leur « soutien indéfectible » à Kinshasa, l’EAC s’est contentée de l’inviter à ouvrir le dialogue avec le M23. Le sommet commun EAC-SADC qui a suivi n’a débouché que sur un appel à un cessez-le-feu. Union africaine, ONU, USA ou même Chine ont condamné, plus ou moins fermement, l’agression du Rwanda, sans toujours le nommer explicitement. Mais le point commun de toutes ces déclarations est l’absence de toute mesure concrète pour les appuyer, contrairement à ce qui s’était produit en 2012, après la première occupation de la ville de Goma par le M23. Les pressions et les menaces internationales avaient alors contraint Rwanda et M23 à battre rapidement en retraite. Les autorités congolaises dénoncent une politique du deux poids deux mesures, au regard des réactions suscitées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Plusieurs centaines de Congolais s’en sont pris aux ambassades française, américaine et belge.
La Belgique, en froid avec le Rwanda, a pourtant été le premier pays européen à défendre ouvertement l’adoption de mesures de rétorsion. Plusieurs leviers sont possibles, mais deux mesures paraissent indispensables compte tenu de la situation : la suspension de la coopération militaire et un embargo sur les minerais en provenance du Rwanda. La réaction de l’Union européenne (UE) était particulièrement attendue sur ces deux points, en raison de l’aide qu’elle fournit à l’armée rwandaise : dans le cadre de la Facilité européenne pour la Paix (FEP), 20 millions d’euros (et un deuxième versement équivalent est prévu) ont été versés à l’armée rwandaise pour soutenir son action au Mozambique. Elle s’y est déployée en étroite concertation avec la France pour tenter d’y sécuriser le gigantesque projet d’exploitation de gaz naturel liquéfié de TotalEnergies et Exxon Mobil, menacé par une insurrection djihadiste.
De plus, la signature d’un protocole d’accord sur les matières premières critiques entre l’Europe et le Rwanda en février 2024 a été considéré comme un véritable appel au crime en RDC. L’UE se refuse aujourd’hui à le remettre en cause, malgré une résolution du Parlement européen en ce sens, au prétexte qu’il s’agirait d’un outil pour lutter contre le trafic illégal de minerais. Le Rwanda est par ailleurs un pays au dynamisme économique attrayant pour les investisseurs ; il est l’un des tout premiers contributeurs aux missions de maintien de la paix de l’ONU et il est considéré comme un partenaire plus stable et fiable que la RDC. La Commission européenne et certains États membres rechignent à se brouiller avec lui.
Gesticulations françaises
L’attentisme européen s’expliquerait ainsi par la volonté de ne pas compromettre la tentative de médiation entreprise par un pays qui s’oppose à toute forme de sanction, au motif que cela desservirait la reprise du dialogue entre belligérants : la France. La diplomatie française a elle aussi condamné « l’offensive menée par le M23, soutenu par les forces armées rwandaises », mais freine des quatre fers l’adoption de mesures contraignantes. Elle s’est efforcée au cours des mois précédents de rééquilibrer progressivement sa position et reconnaît désormais l’agression rwandaise contre la RDC. Mais les couacs diplomatiques n’ont pas cessé pour autant (au dernier sommet de la Francophonie par exemple) et il faut croire que la balance continue de pencher du côté du Rwanda, pour différentes raisons.
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s’est rendu le 29 janvier à Kinshasa, puis à Kigali. Emmanuel Macron s’est entretenu par téléphone avec tous les chefs d’État africains de la région, et a tenté de mettre sur pied une improbable équipe de médiateurs. Il a également essayé, en vain, de faire venir à Paris les présidents rwandais et congolais pour un mini-sommet. À ce jour, ces efforts s’apparentent surtout aux gesticulations, dont le président français est coutumier sur la scène internationale. Pendant ce temps, le M23 a poursuivi son offensive, a pris Bukavu, et l’on peut craindre que l’absence de pressions laisse davantage le champ libre à l’aggravation de la guerre qu’à une conclusion pacifique.
Pourquoi la France soutient-elle le Rwanda ?
En 2021, le Mozambique a sollicité un partenaire inattendu pour tenter d’endiguer la progression d’une insurrection djihadiste dans la région du Cabo Delgado qui mettait en péril le gigantesque projet d’exploitation de gaz naturel de TotalEnergies et Exxon Mobil. L’armée rwandaise a été perçue, notamment en Afrique du Sud, comme un sous-traitant au service des intérêts français sur le sol africain. Il ne fait aucun doute que l’intervention du Rwanda répond à des intérêts propres. Mais l’affirmation de Paul Kagame, qui a assuré que ses troupes n’étaient pas là pour « protéger des projets privés » (Site web du Monde, 29/09/2021), est peu crédible. Selon The Mail & Guardian, c’est la France qui aurait soufflé l’idée au président mozambicain. Ce que les autorités françaises nient : « La France n’a donné aucun feu vert, orange ou rouge pour cette intervention, assure une source élyséenne. En revanche, dans toutes les conversations entre MM. Macron et Kagame, la question du Mozambique a été évoquée. A chaque fois, les Rwandais nous ont tenus au courant de l’état de leurs discussions avec le Mozambique ». Des journalistes et des chercheurs considèrent que la France a au minimum favorisé cette solution.
Interrogé par un parlementaire le 21 mars 2024, Jean-Claude Mallet, directeur des affaires publiques de TotalEnergies, a quant à lui réfuté toute action de son entreprise pour réclamer une action militaire française ou favoriser celle du Rwanda : « La seule chose que nous ayons vraiment essayé de dire, c’est : attention, l’armée mozambicaine ne tient pas la route, pour des raisons historiques. Si nous avons peut-être exercé une influence, c’est en disant : il serait bon que l’Union européenne puisse développer des actions de coopération. Mais c’était un avis. À cet égard, nous ne prenons aucune décision. » Après la mission de formation militaire EUTM-Mozambique, à l’initiative de la France, l’Union européenne a accordé un soutien de 20 millions d’euros aux troupes rwandaises au Mozambique, via le mécanisme de Facilité européenne pour la paix (FEP). L’attribution d’une deuxième enveloppe de 20 millions a fait longtemps débat au sein de l’Union européenne, en raison de l’action de l’armée rwandaise en RDC. La France et le Portugal qui y étaient favorables ont finalement eu gain de cause.
Rapprochement diplomatique, convergence d’intérêts
Cette convergence d’intérêts pourrait surprendre ceux qui n’ont pas suivi le processus de rapprochement entre la France et le Rwanda commencé sous Nicolas Sarkozy et poursuivi par Emmanuel Macron. La normalisation diplomatique s’est concrétisée avec la nomination, après six ans de vacance du poste, d’un nouvel ambassadeur français à Kigali en juin 2021. Le déploiement de forces rwandaises au Mozambique a également coïncidé avec la reprise de la coopération sécuritaire, rompue depuis que le Front patriotique rwandais avait chassé le gouvernement génocidaire soutenu par la France en juillet 1994. Un attaché de Défense a été affecté à l’ambassade de France à Kigali en août 2021. Puis, en mars 2022, une délégation rwandaise comprenant le chef d’état-major, le chef des services de renseignement militaire et le chef des opérations et de la formation, a été reçue à Paris par le chef d’état-major français des armées. C’est ensuite le patron de la Direction du renseignement militaire (DRM) française qui était attendu à Kigali fin novembre. Par ailleurs, l’intervention au Mozambique n’était pas la première intervention rwandaise accueillie favorablement par l’Élysée. En décembre 2020, le Rwanda avait déjà envoyé des troupes en Centrafrique, pour défendre le régime de Faustin-Archange Touadéra contre plusieurs groupes armés. La France, dont l’influence dans le pays commençait à décliner, avait vu d’un bon œil la présence de ce nouvel allié pour contrebalancer l’ascendance russe du groupe Wagner.
Équilibrisme français
Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi a dénoncé le soutien européen apporté à l’action rwandaise au Mozambique. En visite officielle en France fin avril 2024,il affirmait avoir mis en garde Emmanuel Macron : « Une mise au point s’imposerait si nous nous rendions compte que les contingents rwandais envoyés au Mozambique et assistés par l’État français étaient ensuite dirigés pour nous faire la guerre en RDC. Cela provoquerait un risque de crise diplomatique évident avec Paris. »
La France tentait depuis plusieurs mois d’adopter une position diplomatique plus équilibrée entre la RDC et le Rwanda. En février 2023, pour la première fois, un communiqué de la diplomatie française a « condamn[é] la poursuite des offensives du M23 avec le soutien du Rwanda, et la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais », et appelé « les forces armées de RDC [à] cesser toute collaboration avec les FDLR, mouvement issu des milices ayant commis le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ». Mais le président Macron a longtemps rechigné à réaffirmer publiquement cette position, même à l’occasion de sa visite officielle en RDC en mars 2023, où il s’était permis de faire publiquement la leçon à son homologue congolais sur la gestion de la crise sécuritaire. Surtout, en vertu d’un rôle de médiateur qu’il entend jouer, Macron se refuse à franchir le pas d’une demande de sanctions internationales contre le Rwanda, réclamées par Tshisekedi. C’est toujours le cas après la prise du contrôle de Goma et Bukavu par le M23 et le Rwanda.
La mise en balance des intérêts français liés à la RDC et ceux liés au Rwanda explique sans doute la position française. Une coopération militaire institutionnelle, mais aussi portée par des acteurs privés de la sécurité, existe entre la France et la RDC, mais « pour l’instant, cette aide française est globalement limitée et discrète ». Les intérêts économiques français se développent en RDC, mais restent également modestes. Aux yeux des responsables français, le marché potentiel et l’importance des richesses naturelles du pays nécessitent que l’on n’insulte pas l’avenir, mais la volonté de ne pas compromettre le rapprochement diplomatique opéré ces dernières années avec le Rwanda en tentant de tourner la page des accusations de complicité de génocide portées contre Paris, la perspective d’en faire un allié militaire en Afrique et l’importance des investissements immédiats au Mozambique l’emportent aujourd’hui.