[faisant suite à Sur la révolte en cours au Bangladesh ; [Bangladesh] Quelques nouvelles et chiffres sur la révolte… ; [Bangladesh] Nouvelles flambées émeutières dans les manifestations anti-gouvernementales]
Au Bangladesh : victoire de l’insurrection, la Première Ministre s’enfuit en hélicoptère
Extrait de Contre-Attaque, le 05/08/2024.
Un hélicoptère qui s’envole de la résidence de la Première Ministre, avec la dirigeante Sheikh Hasina à bord. Des centaines de milliers de personnes dans des rues enflammées. Des milliers d’émeutiers qui pillent le palais du pouvoir. Une démission fracassante. C’est le dénouement victorieux du mouvement de révolte qui a commencé au début du mois de juillet en Bangladesh.
Dans ce petit pays situé à l’Est de l’Inde, l’un des plus densément peuplé et pauvres du monde, une mobilisation est partie des universités, notamment des étudiant-es de la capitale, Dacca, contre un système de quota injuste. L’État réserve 30% des places à l’université aux «descendants de combattants» et moins de la moitié en fonction du mérite. Dans un pays autoritaire et largement corrompu, il s’agit pour le régime de consolider son pouvoir, en réservant les places aux enfants des soutiens du parti au pouvoir au détriment des autres.
La répression a très fortement touché ce mouvement, avec des dizaines de morts et des milliers d’arrestations, le déploiement de l’armée et des coupures d’internet. Dans un pays régulièrement secoué par les révoltes sociales, notamment une grande grève ouvrière à l’automne dernier, elle aussi étouffée par la répression, le mouvement a fait boule de neige et est devenu une protestation généralisée. La Première ministre bangladaise, Sheikh Hasina, était au pouvoir depuis 2009. Largement détestée, elle était de plus en plus autoritaire et a été réélue dans des conditions douteuses.
La tension a atteint son point maximal dimanche 4 août. Un nouveau couvre-feu est entré en vigueur, les 3.500 usines de la capitale ont fermé et 98 manifestant-es ont été tué-es. C’était la journée la plus meurtrière depuis le début du soulèvement. En un mois, la police et l’armée du Bangladesh ont tué 300 personnes. Ces dernières semaines des commissariats, des sièges de médias et des prisons ont été attaqués, des centaines de détenu-es libéré-es, la situation était incontrôlable, allant bien au-delà des revendications initiales. La participation massive des ouvrières et ouvrier du textile, secteur majeur de l’industrie du Bangladesh, souvent victimes d’une situation de quasi-esclavage, a été déterminante.
Ce lundi, 400.000 personnes ont marché dans les rues de Dacca, faisant tomber un par un les barrages policiers. Une partie d’entre elles a pris d’assaut le Ganabhaban, le Palais de la Première Ministre. L’AFP révèle que cette dernière «voulait enregistrer un discours. Mais elle n’a pas eu l’occasion de le faire. Son équipe de sécurité lui a demandé de partir, elle n’a pas eu le temps de se préparer».
Emmenée avec sa sœur dans un véhicule, elle a été transférée en urgence dans un hélicoptère, en direction de l’Inde. Dans le palais, les protestataires ont pillé tout ce qui était possible : meubles, poulets, matériel numérique, valises, canapés… Ce 5 août, un foule gigantesque participait à des manifestations de joie dans les rues de Dacca, célébrant la démission de Sheikh Hasina.
Un complément…
Suite à la démission de la Première Ministre et à l’annonce d’un gouvernement intérimaire, en discussion avec les partis politiques et les coordinateurs du mouvement étudiant, les événements ont pris une tournure plus chaotique et incertaine au Bangladesh. De nombreuses factions tentent d’en profiter pour obtenir le pouvoir (les principaux partis politique d’opposition de droite, certains membres du parti de l’ex Première Ministre, des sympathisants de tel ou tel camp dans l’armée…), ou simplement prendre la rue en conséquence : des partisan.es du mouvement étudiant ont ainsi pu se mettre à incendier de très nombreux domiciles et bureaux de de la Ligue Awami (parti de l’ex-Première Ministre), tandis que les militants fascistes de ce dernier et des racistes de diverses autres factions ont notamment attaqué les minorités religieuses du pays.
En cette journée du 5 août, à la suite du saccage du palais de la Première Ministre, on a par exemple aussi pu assister à d’autres moments émeutiers : le pillage et saccage du bureau de la Première Ministre (en plus de sa résidence) et du bâtiment du parlement ; l’incendie du siège principal et d’autres bureaux de la Ligue Awami à Dacca et d’un de leurs bureaux à Chittagong ; le saccage et pillage du domicile du ministre de l’Intérieur à Dhanmondi ; l’incendie du bureau du président de la Ligue Awami ; l’incendie de domiciles de députés de la Ligue Awami ; le saccage de statues de Sheikh Mujibur Rahman (père de la Première Ministre Hasina, ancien président du pays) à Dacca ; l’incendie de l’ancienne résidence de ce même ancien président (qui avait été transformée en musée) ; l’attaque de domiciles et bureaux de policiers et de conseillers municipaux ainsi que de bâtiments gouvernementaux à Sylhet ; le saccage du domicile du Juge en chef et président de la Cour suprême à Dacca ; l’incendie d’un commissariat à Uttara (suite à l’incendie d’un blindé policier par des manifestant.es, répondu par des tirs en provenance du commissariat qui ont fait une dizaine de morts) ou d’un poste de police à Sylhet entre autres affrontement signalés autour de nombreux commissariats (tels qu’à Bhatara, Chittagong, Bogra ou Sylhet) ; l’attaque du siège de la police et du bâtiment de la South City Corporation à Dacca ; l’incendie de plusieurs sièges de chaînes de télévision et les tentatives d’attaques d’autres chaînes, toutes affiliées à la Ligue Awami ; et autres pillages en tout genre.
D’un autre côté, des attaques contre des domiciles, commerces et temples hindous ou contre la communauté indienne du pays ont eu lieu dans au moins 27 districts du pays. Le mouvement étudiant s’est organisé pour défendre les minorités religieuses, notamment en faisant garde à l’extérieur de temples, tentant d’empêcher ces attaques, l’armée étant notamment dépassée et semblant peu en contrôle. Le mouvement étudiant s’est aussi organisé pour gérer la circulation routière, la police n’étant plus publiquement présente. Au moins 44 personnes [les chiffres sont désormais plutôt d’au moins 137 au soir du 6 août, ce nombre étant lui aussi sous-estimé étant donné que de nombreux cadavres ont été abandonnés aux abords de commissariats, eux-mêmes abandonnés suite à la fuite des policiers, et que des morts par dizaines ont été signalés dans certains incendies] ont perdu la vie dans les affrontements de la journée, dont des policiers.
Une des premières mesures annoncées par le gouvernement provisoire est la libération de toutes les personnes arrêtées dans le mouvement étudiant, ainsi que l’indemnisation des familles des morts du mouvement, et la levée immédiate du couvre-feu. Les appels au calme se multiplient de tous les côtés, dont chez les responsables de l’armée ou les coordinateurs du mouvement étudiant. D’après une étudiante, « le pouvoir doit être transféré aux citoyens et aux étudiants révolutionnaires. Aucun autre gouvernement ne sera accepté. Les étudiants ne vont pas quitter la rue avant que la victoire finale soit atteinte. L’armée veut peut-être prendre le pouvoir, mais le chef de l’armée est un allié de Sheikh Hasina, donc nous nous l’accepterons pas… » A suivre.
[ajout du 6 août sur quelques déclarations policières, et différents articles de journaux sur ce qui se passe dans et contre la police depuis la démission d’Hasina…]
Plus de 450 commissariats et postes de police auraient été touchés par des incendies ou vandalisme lundi 5 août. Les forces de police se seraient retirées de plusieurs commissariats : ainsi, il n’y aurait plus aucun policier dans « la plupart » des 50 commissariats de Dacca, ni dans un seul des six commissariats de Munshiganj, ni dans de nombreux autres commissariats du pays. Certains commissariats ont été complètement réduits en ruines, comme à Mohammadpur. De nombreux pillages ont notamment eu lieu, notamment d’armes et munitions (toutes celles du commissariat de Mohammadpur auraient été pillées) mais aussi des divers meubles, appareils électroménagers ou véhicules qui s’y trouvaient, lorsqu’ils n’ont pas été incendiés. Des attaques de commissariats ont été signalées à Jatrabari, Badda, Mirpur, Mohammadpur, Adabar, Bhatara, Khilgaon, Kadmatoli, Uttara Purva, Tejgaon, Lalbagh (à Dacca), à Savar, Dhamrai, Ashulia, Munshiganj (où le bureau du commissaire a aussi été attaqué), Kaliakair, Gazipur, Joydevpur, Narsingdi, etc. Un syndicat de police a annoncé une « grève » jusqu’à ce que « la sécurité de chaque policier soit assurée ». A certains endroits, dans la nuit de lundi, des policiers de la base auraient exprimé leur colère contre leurs supérieurs (a priori contre les ordres qui auraient forcés les policiers à affronter les manifestant.e.s), ce qui aurait donné lieu à des révoltes de certains policiers en plus des révoltes populaires contre les commissariats, poussant certains cadres de la hiérarchie policière à se cacher en lieu sûr.