Initialement publié sur Sans nom le 15/04/2025 et le 16/04/2025. Mis à jour avec des articles du 20/04/2025.

Les nuits de dimanche à lundi 14 avril, puis de lundi à mardi 15 avril, ont été marquées par des attaques contre plusieurs structures de la pénitentiaire et de ses larbins, dans une dizaine de villes du Sud et de la banlieue parisienne. Des voitures de matons qui étaient garées sur le parking de prisons (Réau, Valence, Villepinte, Aix-Luynes, Nîmes), ou le long de l’école nationale pénitentiaire (Agen) ou encore devant leurs logements de fonction (Marseille, Nanterre) sont parties en fumée. En outre, le sas d’entrée d’une taule a été mitraillé (Toulon-La Farlède), et le portail d’une base-ERIS a été incendié (Aix-Luynes).
Cette « attaque coordonnée » au cours de deux nuits d’affilée a conduit le Parquet national antiterroriste (PNAT) à se saisir de l’enquête, puis à confier cette dernière à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, aux services locaux et à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). L’enquête comprend « trois qualifications, dont association de malfaiteurs terroriste » a précisé aujourd’hui le ministre de la Justice, parce que « la nature même de l’action » traduit une opération « concertée dont l’objectif est de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ». Quant aux matons, ils sont bien entendu dégoûtés, à l’image du secrétaire national de la CGT pénitentiaire, Damien Tripenne, qui a déclaré tout ému sur une grande radio : « J’ai des camarades, des collègues, qui sont meurtris parce que c’est leurs véhicules qui ont été ciblés, c’est leurs domiciles qui ont été visés… il va falloir que la peur change de camp » (RTL, 15/4).
De plus, les porte-voix du ministère de l’Intérieur ont précisé qu’à plusieurs endroits a été retrouvé le tag “DDPF” (interprété par les journaleux comme l’acronyme de “droits [ou plutôt défense] des prisonniers français”, du nom d’un canal Telegram), mais également des « slogans anarchistes ». Ce qui les a conduit à mettre en avant dans leurs bavardages tant la piste « de groupes d’ultragauche », que celle du « narcotrafic ». Une fameuse « source proche du dossier » a ainsi affirmé à une agence de presse étatique que « selon les premiers éléments de l’enquête, la piste anarchiste semble prendre le pas dans la vaste majorité des faits » (AFP, 15/4, 15h50).
Quoi qu’il en soit, leur hypothèse est que ces attaques sont liées à la lutte des uns et des autres contre la construction de vastes quartiers de haute sécurité, c’est-à-dire de véritables tombeaux où seront enterrés vivants des centaines de prisonniers à partir de cet été… et plus généralement contre le durcissement des conditions de détention (promenades et activités réduites, tabassages et humiliations de la part des matons…) encouragé par l’arrivée de Darmanin au ministère de la Justice.
Voici donc un premier aperçu de cette série d’attaques nocturnes contre l’administration pénitentiaire et les biens de son petit personnel :

Agen (Lot-et-Garonne). Dimanche 13 avril vers 23h30, des inconnus se rendent devant les locaux de l’École nationale d’administration pénitentiaire » (Enap) et crament les voitures des surveillants en formation. Six d’entre elles sont entièrement détruites par les flammes, deux autres sont endommagées, et 1000 élèves-matons sont évacués au milieu de la nuit pour permettre aux pompiers d’intervenir. Un tag « DDPF » est retrouvé sur le sol.
Réau (Seine-et-Marne). Dans la même nuit de dimanche à lundi 14 avril, le véhicule d’une surveillante est incendié sur le parking de la prison et des traces d’hydrocarbures sont retrouvées sur trois autres véhicules de matons, qui n’ont pas pris feu.

Valence (Drôme). Dans la même nuit de dimanche à lundi 14 avril, vers 21h45, deux véhicules de matons sont incendiés sur le parking du centre pénitentiaire, par un inconnu arrivé puis reparti à trottinette. Il a déversé de l’essence avant de mettre le feu et d’inscrire un tag : « DDPF ».

Villepinte (Seine-Saint-Denis). Dans la nuit suivante de lundi à mardi 15 avril vers 22h30, trois véhicules de matons sont incendiés, deux garés sur le parking visiteur et un garé sur le parking du personnel de la prison. Deux inconnus ont pénétré dans l’enceinte en passant par une butte de terre, incendiant chacun un véhicule, tandis que le troisième a été atteint par propagation.

Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône). Dans la nuit de lundi à mardi 15 avril, peu après 2h du matin, deux voitures (dont une de matons, l’autre étant à un détenu en semi-liberté) sont détruites sur le parking du centre pénitentiaire. De plus, la porte de la base du Pôle de rattachement des extractions judiciaires et de l’Équipe régionale d’intervention et de sécurité (PREJ-ERIS) a été incendiée.

Marseille (Bouches-du-Rhône). Dans la nuit de lundi à mardi 15 avril, peu avant 1h, une voiture est incendiée et une dizaine d’autres taguées avec la mention « DDPF » sur le parking de la résidence « Domaine des Chutes Lavies », située 9 impasse Sylvestre dans le 13ᵉ arrondissement, et logeant des agents pénitentiaires. Cette résidence est également située à proximité des locaux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Nanterre (Hauts-de-Seine). Lundi 14 avril vers 20h, deux inconnus en scooter incendient la voiture d’un capitaine en poste à la prison. Elle était garée sur un emplacement réservé au personnel devant les logements des matons. Les deux incendiaires ont inscrit l’acronyme « DDPF » sur le sol avant de quitter les lieux. Un bidon d’essence est retrouvé à proximité.

Toulon-La Farlède (Var). Dans la nuit de lundi à mardi 15 avril vers minuit quarante, la porte d’entrée du centre pénitentiaire est criblée de 15 impacts de balles suite à un tir de kalachnikov. Une des balles est parvenue à traverser la porte d’entrée de la prison pour se nicher dans la vitre de l’accueil où une surveillante se trouvait. Un grand tag « DDFM » est retrouvé sur l’entrée mitraillée de la taule.
Nîmes (Gard). Dans la nuit de lundi à mardi 15 avril, vers 21h, une BMW est incendiée en face de la maison d’arrêt et des langues de flammes sont dressées par plusieurs personnes masquées, tandis que le tag « DDPF » est inscrit sur le mur d’enceinte. La veille, 8 véhicules avaient déjà cramé vers 2h30 dans la concession Toyota située tout près de la prison…
[Synthèse de la presse régionale, 13-15 avril 2025]
Depuis dimanche 13 avril au soir, une vague d’attaques incendiaires (et pas que) frappe la pénitentiaire et les biens de ses larbins dans une dizaine de villes du sud et de la région parisienne. Après une première synthèse détaillée publiée avant-hier, on trouvera ci-dessous un petit complément enflammé sur la troisième nuit, celle de mardi à mercredi 16 avril, où le bleu-maton a de nouveau connu un goût de cendres.
Par ailleurs, tandis qu’à côté de plusieurs objectifs ciblés ont été retrouvés des tags DDPF (qui serait d’après les journaleux l’acronyme de « Défense des droits des prisonniers français », du nom d’un canal Telegram), le ministère de l’Intérieur fait également mention de « slogans anarchistes ». Aujourd’hui, un de ses porte-voix quotidien a donné un peu plus de détails à ce propos (Le Monde, 17/4), en précisant que « à Angers notamment, des inscriptions à la bombe de peinture ont été relevées sur des façades d’habitation proches de la maison d’arrêt : « soutien aux taulard.e.s » et « la prison tue ». ». En réalité, ces tags avaient été tracés au début du mois d’avril, soit avant les attaques… ce qui n’enlève rien à leur pertinence, au contraire, en particulier le « crèvent les taules » d’une actualité brûlante dans la rue Brisepotière.
Enfin, côté premier bilan, le procureur national antiterroriste Olivier Christen a tenu à communiquer en personne à propos de ces attaques (dans une longue interview donnée à France info,17/4) : il fait état de « 12 faits, deux contre des domiciles personnels d’agents de l’administration pénitentiaire, une attaque conduite contre des véhicules dans les parkings de l’École nationale pénitentiaire (Enap) et puis neuf faits directement contre des établissements pénitentiaires ». Géographiquement, « ce sont huit départements qui ont été touchés », dont « un tiers des faits commis dans les Bouches-du-Rhône, un tiers dans la région Île-de-France », avec un total de « 21 véhicules incendiés et une dizaine de véhicules dégradés » (sans parler du mitraillage de la porte de la taule de Toulon et l’incendie de celle des ERIS à Aix-Luynes). En conclusion, ce défenseur fanatique du terrorisme d’État et fervent adepte de la propagande blindée, a même rajouté une couche de complotisme dont il a le secret : « ça peut être des groupes de radicalisés politiques, ça peut être des groupes plus liés avec la criminalité organisée, ça peut être aussi une convergence d’objectifs et de personnes qui se manipulent les uns les autres : tout est possible ».

Tarascon (Bouches-du-Rhône). Dans la nuit de mardi à mercredi 14 avril, vers 5h20 du matin, trois véhicules sont incendiés sur le parking sécurisé du centre pénitentiaire : l’un appartenait à un maton en service et l’autre à une entreprise intervenant au centre de détention.

Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône). Dans la nuit de mardi à mercredi 14 avril, alors que la veille deux voitures avaient déjà cramé sur le parking de la taule, c’est cette fois le véhicule personnel d’un représentant du personnel SPS (Syndicat pénitentiaire des surveillants) de la prison de Luynes qui flambe devant son domicile..
Villenoy (Seine-et-Marne). Dans la nuit de mardi à mercredi 14 avril, vers 2h30 du matin, le hall d’immeuble d’une matonne travaillant à la prison voisine de Meaux-Chauconin reçoit le tag « DDPF », tandis qu’un début d’incendie vite éteint s’y déclare, et que sa voiture est défoncée sur le parking.
Amiens (Somme). Mercredi 16 avril dans la soirée, la boîte aux lettres du domicile d’une matonne qui travaille à la prison de cette même ville est taguée avec les lettres « DD » [pour « Défense des droits des prisonniers français » ?], tandis que sa voiture se fait crever les pneus.
Questions après les attaques de prisons
Le Monde, 17 avril 2025 (extrait)
Presque partout, on retrouve le même sigle « DDPF » tagué sur les voitures incendiées ou les murs. Sur une vidéo postée sur la messagerie cryptée Telegram, des individus, dont les visages restent cachés par leur capuche, font usage de bombes de couleur noire, pour signer leurs actes. Étrangement, à la prison de Toulon-La Farlède, c’est un grand sigle rouge orangé qui comporte, cette fois, les lettres « DDFM », qui a été inscrit sur la porte grise par laquelle entrent et sortent les fourgons pénitentiaires. Simple erreur ou signature d’un autre groupe ? Mystère. « Ce sont des groupes qu’on ne connaît pas »,glisse une source pénitentiaire, surprise par cette revendication. Parmi les connaisseurs historiques des mouvements contestataires du milieu carcéral contactés par Le Monde, personne n’avait entendu parler de cette double signature.
Ces attaques s’inscrivent dans un contexte particulièrement tendu, au sein d’établissements surpeuplés (avec un taux de surpopulation moyen de 130 % qui peut dépasser les 200 % dans plusieurs prisons), où les surveillants sont régulièrement cibles de menaces ou d’agressions. Il y a un peu moins d’un mois, le vendredi 21 mars, vers 21 h 30, trois véhicules personnels d’agents pénitentiaires de la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde), dans la banlieue de Bordeaux, étaient incendiés au moyen de cocktails Molotov. Une attaque au timing choisi : à ce moment-là, les surveillants étaient tous réunis pour participer au loto de l’amicale des personnels. « Qu’il y ait un incendie ou des tirs ne nous surprend pas tant que cela, témoigne Ronan Roudaut, délégué syndical UFAP-UNSA à la prison de Gradignan. Mais c’est le fait que ces actions soient coordonnées, au niveau national, qui est inattendu. »
Mardi matin, le garde des sceaux, Gérald Darmanin, était convaincu d’y voir la main d’organisations liées à la criminalité organisée. « La République est confrontée au narcotrafic et prend des mesures qui vont déranger profondément les réseaux criminels », a-t-il posté sur le réseau X.
Mais les services de renseignements étudient pour l’instant toutes les possibilités : si la localisation des incidents recouvre pour partie des zones notoirement gangrenées par le trafic de stupéfiants, la signature et la découverte de slogans anarchistes conduisent, elles, à la piste possible de mouvements d’extrême gauche. « Une piste très loin d’être exclue à ce stade », euphémise une source au sein de l’appareil sécuritaire.
Mais là encore, cette éventualité laisse plusieurs spécialistes dubitatifs. « Que l’extrême gauche puisse incendier des voitures, ça peut arriver, mais tirer à la kalachnikov, ce n’est pas du tout dans leur habitude, confie, au Monde, une source bien informée. Enfin, l’extrême gauche est par nature internationaliste, jamais elle ne signerait une action au nom des “prisonniers français”. »

Dans le Sud-Est, particulièrement touché par ces actions concertées, un magistrat reconnaît « manquer, à l’heure actuelle, d’une grille de lecture pour décrypter ces événements ». Un connaisseur des milieux libertaires n’écarte pourtant pas l’idée d’une convergence entre un noyau actif de militants contre l’enfermement dans les centres de rétention administrative et les prisons avec de jeunes membres du narcobanditisme qui, à leur sortie de détention, se politiseraient. Il y voit pour preuve la coexistence de deux modes opératoires, l’incendie étant la marque des actions passées de mouvements libertaires, les tirs de kalachnikov, celle du narcobanditisme.
Le durcissement des conditions de détention pousse à des formes d’action de plus en plus violentes à l’intérieur comme à l’extérieur, estime un avocat marseillais, qui constate « un recours toujours plus grand à l’isolement, et, bien avant la circulaire Darmanin sur les activités ludiques et provocantes, une privation pour certains détenus de ces temps hors de leur cellule ». Le centre pénitentiaire marseillais des Baumettes a d’ailleurs connu, durant plusieurs jours au mois d’août 2024, un mouvement collectif avec des départs de feu simultanés dans des cellules du quartier disciplinaire. Trois prisonniers ont été condamnés, le 1er octobre 2024, à trois et quatre ans de prison. Les détenus, dont certains liés au narcobanditisme, voulaient notamment dénoncer un refus de transfert vers un autre établissement et des violences commises par des agents pénitentiaires. « Mettre le feu, ce n’est pas la meilleure des choses à faire, mais je ne regrette pas car leur boulot c’est d’être surveillant, pas de frapper les détenus », avait lancé l’un des jeunes prisonniers, qui avait allumé une revue de mots croisés contre la porte de sa cellule.
Après les attaques contre les prisons, le flou demeure sur l’identité des commanditaires
Le Monde, 17 avril 2025
Narcobanditisme ou ultragauche, le Parquet national antiterroriste n’écarte aucune piste à ce stade. Redoutant une contagion, l’administration pénitentiaire a relevé au maximum les niveaux de précaution et de contrôles entourant la sécurité des établissements.
Savait-on, au sein des prisons françaises, que de telles attaques étaient en train de s’organiser ? Certains détenus étaient-ils dans la confidence ou l’opération a-t-elle été pensée et orchestrée entièrement depuis l’extérieur ? C’est une des nombreuses questions auxquelles le renseignement pénitentiaire, la police et la justice cherchent des réponses, alors que la nuit du mercredi 16 au jeudi 17 avril a été plus calme que les deux précédentes. Le bilan fait état, depuis le 13 avril, de 30 véhicules détruits ou endommagés à l’occasion d’une dizaine de faits. Et presque partout le sigle « DDPF » tagué sur les murs ou les voitures, pour « Défense des droits des prisonniers français ». Interrogé jeudi matin sur Franceinfo, le procureur de la République antiterroriste, Olivier Christen, a indiqué qu’il n’y avait « pas de piste qui soit privilégiée ».
Passé l’effet de surprise des attaques, et malgré le flou entourant l’identité des commanditaires comme celle des exécutants, l’administration pénitentiaire a relevé au maximum les niveaux de précaution et de contrôles entourant la sécurité des établissements autant que celle du personnel. Une visioconférence à l’ampleur inédite, mardi 15 avril en fin d’après-midi, réunissant le ministre de la justice, les directeurs d’établissement et les responsables de l’administration pénitentiaire, en a précisé les modalités : renforcement des rondes et des contrôles d’identité autour des établissements, patrouilles renforcées, mais aussi consignes d’une discrétion maximale des surveillants tant dans leurs déplacements que sur les réseaux sociaux.
Redoutant des scénarios de contagion du mouvement, y compris à l’intérieur des prisons, l’administration pénitentiaire a pris contact avec les préfets et les procureurs de la République pour prévenir de nouveaux actes malveillants. « Les ERIS [équipes régionales d’intervention et de sécurité] sont en état d’alerte et présentes autour des établissements, les fouilles de cellules ont été renforcées », assure-t-on à l’administration pénitentiaire.
Revendication politique
Selon plusieurs sources internes à différentes prisons, un projet d’actions concertées à l’intérieur de plusieurs établissements avait d’ailleurs circulé récemment. « Le but, c’était que les ERIS n’aient pas le temps de réagir pour leur permettre de faire entendre leurs revendications », confie une source bien informée. « La première réaction de mes clients a été de dire que ces attaques ne les étonnaient pas du tout. Avec le durcissement des conditions de détention depuis plusieurs mois, ils se doutaient que ce genre de mouvement allait arriver », confie un avocat pénaliste au surlendemain d’une visite au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), choisi par le garde des sceaux, Gérald Darmanin, pour devenir l’une des deux futures « narcoprisons », des établissements ultrasécurisés qui réuniront à partir de juillet les narcotrafiquants les plus dangereux.
L’enquête, conduite sous la direction du Parquet national antiterroriste, ne fait que débuter, mais elle s’intéresse d’ores et déjà à un compte baptisé « DDPF », toujours pour « Défense des droits des prisonniers français », créé sur la plateforme Telegram dans la nuit du samedi à dimanche, c’est-à-dire avant même que les premières voitures ne soient incendiées. Un texte de revendication politique y a été posté pour « dénoncer les atteintes à nos droits fondamentaux auxquels le ministre Gérald Darmanin compte porter atteinte ».
Cette courte tribune lançait un appel à « tous les détenus qui doivent se mobiliser et se réveiller » : « L’heure est grave, nous entrons dans une ère dangereuse et inquiétante pour l’avenir de la population carcérale. » Elle dénonçait la réduction du nombre de promenades, le coût des cabines téléphoniques, la suppression des activités qui « dérègle le processus de réinsertion ». Puis elle lance une violente charge contre les surveillants « qui nous frappent, qui violent certains détenus, exercent des pressions physiques et psychologiques : la plupart des suicides sont dus à l’agressivité de l’administration pénitentiaire et à sa déontologie »…
Même si le projet de « narcoprisons » n’est pas mentionné dans le texte, Gérald Darmanin fait figure de bête noire : « Depuis l’affaire Amra [le trafiquant Mohamed Amra, dont l’évasion, en mai 2024, avait causé la mort de deux agents pénitentiaires], que la majorité des détenus n’ont pas cautionnée, la mort de ces gars-là, pourquoi se servir d’Amra pour faire du mal aux 82 000 autres détenus ? Ça n’a ni queue ni tête. La guerre, c’est vous Darmanin qui l’avez déclenchée, nous on veut juste que les droits de l’homme soient respectés. »
Différents modes opératoires
Des revendications de ce genre peuvent-elles être portées par les organisations liées au narcotrafic, comme la puissante DZ Mafia ? Le gang marseillais a déjà fait la démonstration qu’il était capable d’utiliser les codes qui ne sont pas nécessairement les siens. Dans une vidéo en forme de « conférence de presse », diffusée le 9 octobre 2024 pour démentir son implication dans l’assassinat d’un chauffeur de taxi, la DZ Mafia s’est mise en scène, avec cagoules et armes à feu, en singeant les mouvements nationalistes corses.
« On peut être un petit peu interrogatif sur le lien entre ces faits et l’évolution très ferme de la politique de lutte contre la criminalité organisée qu’a décidée le garde des sceaux et que nous sommes en train de mettre en œuvre », a prudemment déclaré, mercredi sur BFM-TV, le directeur de l’administration pénitentiaire, Sébastien Cauwel. « Le trafic a d’abord besoin de calme pour prospérer. Je ne vois pas du tout l’intérêt de la DZ Mafia à enclencher un rapport de force avec l’Etat pour défendre la condition des détenus », analyse, de son côté, un ancien détenu qui, aujourd’hui, intervient en prison.
La tâche des enquêteurs est compliquée par les différents modes opératoires qui semblent avoir cohabité. Au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, les rafales de kalachnikov sont clairement la signature de la criminalité organisée, liée au trafic de stupéfiants. En revanche, à Angers notamment, des inscriptions à la bombe de peinture ont été relevées sur des façades d’habitation proches de la maison d’arrêt : « soutien aux taulard.e.s » et « la prison tue ».
Une affichette faisant référence à la mouvance antifasciste dans la région a également été retrouvée sur place, avec un appel à une réunion publique le 25 avril. Des références qui renvoient à la mouvance de l’ultragauche. Mardi soir, un homme soupçonné d’avoir relayé sur Telegram un message incitant à commettre des dégradations a été interpellé dans l’Essonne. Mais il n’est pas suspecté à ce stade d’être lié au mystérieux groupe DDPF et sa garde à vue a été levée. Les « investigations se poursuivent », a indiqué le parquet.

La Dépêche, 20 avril 2025
Les faits se sont déroulés dans une commune du Muretain [à Saint-Martory précisément], au sud-ouest de Toulouse. Peu après 1 heure du matin hier, une habitante aperçoit un véhicule s’embraser chez l’un de ses voisins. Elle le prévient rapidement, mais le feu se propage. À l’arrivée du propriétaire, âgé d’une cinquantaine d’années, trois automobiles sont déjà détruites et la quatrième commence à être attaquée par les flammes. L’homme intervient immédiatement et alerte les secours.
Les pompiers parviennent à maîtriser l’incendie, empêchant la destruction de la quatrième voiture ainsi que des habitations voisines. «Cette personne s’est blessée durant l’intervention et a été transportée en urgence relative vers un centre hospitalier», précise le Sdis 31. Le surveillant se serait légèrement brûlé les mains.
La victime est un surveillant pénitentiaire en poste à la maison d’arrêt de Seysses, selon nos informations. Sous le choc, il a déposé plainte. À ce stade, aucune revendication n’a été formulée. Les gendarmes de la compagnie de Muret étudient plusieurs pistes: celle d’un simple accident ayant entraîné une propagation, ou la possibilité d’un acte volontaire. L’enquête pourrait être longue et complexe pour déterminer si ce fonctionnaire a été ciblé en raison de sa profession ou pour d’autres raisons.
Vendredi 18 avril 2025, des affiches ont également été collées dans la ville de Muret, à proximité du domicile de l’un des agents de Seysses. Elles illustraient un gorille criant « Feu aux prisons ! « , avec, en bas,une annotation indiquant : « Détruisons tous les lieux d’enfermement ! Solidarité avec les prisonniers ».
Faut-il y voir un lien avec les voitures en feu à Saint-Martory, située à 40 minutes de Seysses et autant de Muret ? « Potentiellement, cela n’a rien à voir », répond la compagnie de gendarmerie de Saint-Gaudens. Mais aucune piste n’est exclue. Les investigations se poursuivent.

Prisons ciblées : une voiture incendiée près de Lyon-Corbas, un immeuble tagué « DDPF » à Villefranche-sur-Saône
France3, 20 avril 2025
Ce dimanche 20 avril, une voiture a été retrouvée incendiée sur le boulevard des Nations Unies, aux abords de la prison de Lyon-Corbas. « Le service de nuit l’a repérée grâce aux caméras de surveillance et a alerté les pompiers et les forces de l’ordre.« , précise Didier Lui-Hin-Tsan, secrétaire régional FO Justice Lyon. Il ne s’agissait pas d’un véhicule d’un agent pénitentiaire.
Près de 300 agents travaillent au sein de la prison. Depuis une semaine, ils « viennent travailler la boule au ventre« . Didier Lui-Hin-Tsan salue les différentes consignes de sécurité prises par les autorités mais il estime que les agents sont « trop identifiables« . « Chaque jour, ils attendent de rentrer dans la prison et sont au milieu des visiteurs, ils sont en uniformes et facilement reconnaissables« , précise-t-il.
Un tag « DDPF » a été retrouvé sur un mur de la maison d’arrêt, près de l’accès pour les véhicules. Un autre a été retrouvé plus loin selon FO. Cet acronyme est revenu à plusieurs reprises dans les récentes actions recensées contre les établissements carcéraux. Il s’agirait d’un groupe : “Défense des droits des prisonniers français”.
À Villefranche-sur-Saône (Rhône) près de Lyon, ces quatre lettres ont aussi été taguées près de l’entrée d’un immeuble, dans une rue où vit un agent pénitentiaire. La porte du bâtiment a été incendiée.
L’inquiétude est grande chez les surveillants des centres de détention. « Cela nous atteint psychologiquement car désormais on craint pour nos familles, nous sommes dans l’hypervigilance« , confie Nénette, secrétaire locale syndicat Unsa-Ufap Justice du centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône. « On se demande à quel moment cela va s’arrêter.« , ajoute-t-elle.
D’autant que la semaine dernière, deux surveillantes de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône ont vu leurs identités et leurs horaires de travail divulgués sur le réseau social TikTok. Elles ont porté plainte et de nouvelles mesures de sécurité ont été prises par l’établissement. Selon les syndicats, la police a renforcé les rondes autour de la prison. Le parking de l’établissement, réservé au personnel, est particulièrement surveillé.
Laetitia Francart, procureure de la République de Villefranche-sur-Saône, a confirmé l’ouverture de deux enquêtes. La première pour “divulgation illégale volontaire de données à caractère personnel nuisible”. La seconde pour “dégradation par moyen dangereux”.