Initialement publié sur le site de Black Rose/Rosa Negra Anarchist Federation le 21/03/2025
Cette interview est une réflexion sur les succès et les échecs de l’Assemblée populaire de Koreatown (KPA), une tentative d’organisation à l’échelle du quartier qui a existé de 2016 à 2022 et qui visait à faire face aux politiques d’expulsion de la première administration Trump. Avec le retour de Trump au pouvoir, beaucoup sont à nouveau à la recherche de modèles pour se défendre et défendre leurs communautés contre un programme encore plus fervemment anti-immigration.
Cet article accompagne un guide à paraître sur l’organisation d’une assemblée populaire, basé sur les leçons tirées de KPA et d’autres efforts d’organisation de quartier auxquels les membres de Black Rose/Rosa Negra ont participé au fil des années. Ce guide sera bientôt disponible.
Deux mois après le début du second mandat présidentiel de Donald Trump, son administration a tenu ses promesses électorales de terroriser les personnes immigrées, qu’elles soient sans papiers ou non. Des mensonges vicieux sur la criminalité invasive émaillent les conférences de presse et les décrets. Les services de l’immigration et des douanes (ICE) recherchent de nouvelles collaborations avec d’autres agences d’État pour recruter du personnel et procéder à des déportations massives. Le tsar des frontières [un poste gouvernemental nommé directement par le président et en charge d’un domaine particulier], Tom Homan, fait allusion à la mise en cage des enfants une fois de plus.
Comme pendant le premier mandat de Trump, les communautés du pays entier ont refusé de se recroqueviller de peur. Les habitant-es utilisent des lignes téléphoniques 24 heures sur 24 pour signaler les activités imminentes de l’ICE, tandis que les organisateur-ices communautaires parrainent des formations pour se défendre contre les raids. Les étudiant-es, les voisin-es et les collègues de travail placardent leurs écoles, leurs villes et leurs lieux de travail de cartons rouges et d’autres documents sur la défense juridique.
De 2016 à 2022, Koreatown Popular Assembly (KPA), une assemblée basée à Los Angeles dans un quartier multi–ethnique riche en immigrant-es, a fait tout cela et plus encore. Plus important encore, les membres de KPA n’ont attendu que personne ne les sauve ; iels ont organisé de manière proactive la résistance collective à l’ICE et à l’agenda nativiste de Trump à partir de la base, aux côtés d’autres personnes de tous les jours.
Réalisé et édité par Juan Verala Luz, cet entretien avec Morgan, l’un des principaux organisateurs du projet, et Elizabeth Chi, qui a rejoint KPA lorsqu’elle a déménagé à LA fin 2018, explore comment KPA a commencé, ce qu’elle a fait et le contexte de son succès et de sa dissolution ultérieure.
Au milieu d’une poussée populaire, des révolutionnaires dévoué-es ont patiemment encouragé un quartier à identifier délibérément des stratégies pratiques pour faire face à la terreur d’État à laquelle il était confronté, ensemble. Malgré le scepticisme à l’égard de la prise de décision et de l’action collective, un soutien multilingue et des efforts pour s’adapter à des horaires de travail divers ont transformé une vision inclusive de la démocratie directe en une expérience participative. En fin de compte, les difficultés habituelles d’organisation – vents politiques changeants qui tempèrent l’intérêt, leaders engagé-es qui se retirent, et luttes pour le recrutement – ont fait échouer KPA.
Cependant, cette expérience est riche d’enseignements pour la (re)construction d’organismes enracinés dans la démocratie directe et de mouvements sociaux de masse pour la libération des immigré–es, qui peuvent tous deux jeter les bases d’un pouvoir populaire capable de défier l’État et le capital.
Les premiers jours du KPA
BRRN : Plantons le décor de KPA. À quoi ressemblaient le mouvement social et le paysage politique plus large dans le quartier, la ville en général, et même le pays ?
M : Contrairement à aujourd’hui, il y avait beaucoup de gens qui essayaient de comprendre ce que nous pouvions faire et il y avait beaucoup de gens qui descendaient dans la rue. Si vous convoquiez une réunion à l’époque, vous receviez des flots de gens qui voulaient simplement faire quelque chose. La peur était également très présente, en particulier dans les communautés d’immigré–es. Il y avait beaucoup de marches spontanées. Dans le quartier de Koreatown, les enseignant-es et les élèves des écoles publiques auxquelles nous étions étroitement lié-es ont débrayé le jour de l’inauguration, je crois.
Il y a eu quelques débrayages épars dans d’autres écoles et dans d’autres lieux. Il y a eu une journée sans immigré–es qui a été très mal planifiée et communiquée, mais en descendant Pico Boulevard, je me souviens avoir pensé : « Oh, il y a vraiment tout un tas d’endroits qui ont fermé à cause de cet appel aléatoire ». C’était un peu l’ambiance qui régnait après les élections, et toute cette énergie ne savait pas où aller. Les gens voulaient faire quelque chose, mais ne savaient pas trop quoi.
BRRN : Qu’est-ce qui a motivé votre décision d’organiser une assemblée populaire ? Pourquoi pas une autre forme ou structure d’organisation ?
M : En fait, il y a eu une réunion à l’échelle de la ville pour parler de la réponse de Los Angeles à Trump. … Après cela, les organisateur-ices de la réunion ont dit : « D’accord, formons des groupes de discussion, puis rencontrons-nous et formons un groupe pour votre quartier. » Koreatown était l’un des groupes issus de cette réunion à l’échelle de la ville. J’ai ensuite participé, je crois, à l’une des premières réunions de ce qui avait été un groupe de discussion issu de cette réunion à l’échelle de la ville.
Je crois que le nom « assemblée populaire » existait depuis le début, mais presque personne ne savait ce qu’était une assemblée populaire. Je pense que c’est NDLON, le National Day Labor Organizing Network , qui a donné le nom d’assemblée populaire, d’abord à la réunion à l’échelle de la ville, puis aux groupes de discussion qui sont ensuite devenus ces groupes de quartier. Je me souviens qu’iels s’appuyaient sur une expérience en Arizona où il y avait un de leurs groupes qui avait organisé la communauté immigrée pour former des assemblées populaires comme tactique de défense de la communauté, et iels espéraient mettre en œuvre quelque chose de similaire à Los Angeles. Cela n’a pas très bien été communiqué à la plupart des gens. Il y avait ce terme, « assemblée populaire », puis cette grande réunion en petits groupes, et il n’y avait pas vraiment de direction.
Lorsque moi et quelques autres personnes avons vu le nom « assemblée populaire », nous avons été un peu excité-es parce que nous avons évidemment des idées politiques à ce sujet et sur l’importance de la prise de décision démocratique au niveau du quartier. Ce groupe de quartier a donc commencé à se réunir, et moi, Sarah, qui était membre d’une organisation trotskiste et enseignait dans une école publique de Koreatown, et David, qui travaillait pour NDLON et vivait dans le quartier, avons été les principales personnes à dire : « Faisons de cette assemblée une assemblée populaire. »
La plupart des autres personnes qui ont participé à ces premières réunions étaient plutôt d’avis qu’il fallait organiser un pique-nique. « Faisons simplement connaissance et apprenons à nous connaître ». Iels considéraient cela comme une sorte d’effort ambigu de « construction d’une communauté ». Il n’y avait pas de vision de structure, de stratégie ou d’objectifs spécifiques. Nous avons donc proposé qu’au lieu de ce petit groupe de discussion, nous organisions une assemblée ouverte au voisinage et que nous en fassions un espace de décision.
En fait, il y a eu beaucoup de débats à ce sujet. Beaucoup de gens étaient opposé-es à la création d’un espace de décision, il y a eu une proposition de quelqu’un dont le résultat est que nous parlions de projets auxquels nous pouvions nous brancher et de la manière dont nous allions rester connectés. Il n’y avait donc rien de concret, aucune décision n’etait prise. J’avais déjà assisté à de nombreuses « assemblées » de ce type : les gens viennent, partagent des informations, puis s’en vont et il y aura probablement d’autres réunions sans but précis jusqu’à ce que les gens se lassent des réunions et cessent d’y assister. En fait, nous avons dû débattre, proposer et mettre en avant l’ouverture et l’espace de prise de décision pour essayer d’en tirer quelque chose de concret afin que les gens aient l’impression que nous faisons quelque chose ensemble.
BRRN : Vous souvenez-vous des oppositions et des arguments qui ont été soulevés contre le fait de faire de la KPA un organe de décision ?
M : Je me souviens qu’une grande partie de l’opposition n’était pas tant idéologique. Je pense que ce n’était peut-être pas ce à quoi les gens étaient habitué-es.
L’une des positions a pu être que l’assemblée devait ensuite se fractionner en groupes de plus en plus petits. Après l’assemblée générale de Koreatown ou l’assemblée populaire, certaines personnes ont soutenu que nous devions nous diviser en sous-groupes par zone géographique. Les habitant.es du nord-ouest de Koreatown et du nord-est de Koreatown allaient organiser des réunions de comités séparées. Je ne pense pas qu’il s’agisse vraiment d’un débat sur les principes, mais plutôt d’un débat sur l’aspect pratique et l’objectif des réunions répétées. Nous avons laissé les groupes séparés en fonction de la partie de Koreatown où nous nous trouvions s’oragniser mais ensuite nous avons continué à faire revenir tout le monde au sein d’un seul comité d’organisation de Koreatown. Nous l’avons ensuite élargi, car il n’y avait pas d’autre groupe de ce type à Los Angeles. En fait, nous avons créé un « grand » quartier coréen.
Je pense qu’il y avait en partie une résistance à l’idée que lorsque l’on prend une décision, cela signifie aussi que l’on doit dire non à certaines choses. Je pense que certaines personnes souhaitent disposer d’un espace où les gens peuvent simplement apporter leurs idées et dire oui à tout, sans avoir à choisir, à établir des priorités ou à développer une véritable stratégie.
Les participant–es ont également eu l’envie de vouloir former des groupes par tactique ou par affinité. Par exemple, « nous allons créer un groupe pour les personnes qui veulent se concentrer sur les questions queer, nous allons créer un groupe pour les personnes qui veulent se concentrer sur les questions d’immigration » … Nous nous sommes opposé-es à cela parce que nous avons tous fini par faire des choses basées sur l’immigration, que nous soyons immigré-es ou non. Ce type d’activités 1) tend à multiplier le nombre de choses que vous essayez de faire plutôt que de renforcer les capacités pour obtenir une masse critique suffisante derrière un effort pour le rendre durable et fructueux et 2) cela va à l’encontre de l’objectif d’avoir un groupe basé sur le quartier parce que vous ne prenez pas de décisions dans le quartier à ce moment-là.

S’organiser dans et par le biais de KPA
BRRN : Maintenant, nous allons en apprendre un peu plus sur ce que la KPA a fait. Quels étaient ses principaux objectifs et comment les a-t-elle atteints ?
M : Lors de la grande assemblée générale, trois décisions ont été prises : se concentrer sur la construction d’un réseau de soutien entièrement bénévole ; créer des écoles sanctuaires qui protègent contre les raids de l’ICE ; et éduquer le voisinage sur ses droits.
Nous avons beaucoup travaillé sur les écoles sanctuaires, mais il n’y avait pas grand-chose à faire car l’ICE ne se rendait pas dans les écoles à ce moment-là. Mais nous nous organisions dans la principale école publique de K-Town.
Très vite, nous nous sommes concentré-es sur la mise en place d’un réseau d’intervention rapide. Cela nous a pris beaucoup de temps et d’efforts, car un tel projet bénévole nécessite toute une équipe de personnes chargées de la logistique et de la formation. Ensuite, un autre groupe de personnes s’occupe des dispatcheur-euses qui répondent aux appels téléphoniques 24 heures sur 24, à n’importe quelle heure de la journée. Enfin, toute une équipe de plus de 200 secouristes est formée et prête à intervenir. C’est beaucoup de travail, et nous nous sommes très vite attaché-es à faire fonctionner ces structures.
Notre objectif, en tant que réseau d’intervention rapide, était de bloquer les raids de l’ICE. Beaucoup de réseaux d’intervention rapide à but non lucratif ont pour seul objectif de permettre aux gens d’appeler et de leur fournir des ressources sur la manière d’accéder à une défense juridique ou de connaître leurs droits – ce qui, vous le savez, ne vaut pas grand-chose. Notre objectif était d’intervenir autant que possible, et nous n’y sommes pas parvenu-es autant que nous l’aurions voulu. Il est très difficile de bloquer les descentes de l’ICE. J’ai suivi les nouvelles et les rapports à ce sujet de très près lorsque nous nous organisions parce que j’essayais de comprendre comment nous pouvions faire mieux. Au cours de la première administration Trump, cela s’est produit à plusieurs reprises dans l’ensemble des États-Unis.
Nous avons bloqué un camion de l’ICE une fois, mais c’était lors d’une manifestation dans le bâtiment de l’ICE.
EC : J’ai l’impression que nous avons pu découvrir les plans de l’ICE dans le quartier. Je me souviens que nous étions constamment en train de sonder le parking de Ralph’s parce qu’il y avait des rapports faisant état d’un lieu de rassemblement à cet endroit. Nous avons contacté les entreprises locales, nous avons presque fait patrouiller des gens et nous avons envoyé des secouristes à plusieurs reprises. Nous avons pu avertir quand l’ICE a commencé à utiliser des véhicules banalisés dans le quartier ou quand il y a eu des changements dans leur comportement.
Des révolutionnaires résolus, des structures inclusives cultivent la KPA
BRRN : En termes de résultats d’organisation tels que les victoires de campagne, le développement des organisateurs, la cohérence d’un projet, KPA semble avoir été l’une des expériences les plus réussies, sinon la plus réussie, en matière d’assemblées populaires au cours de la première administration Trump. Qu’est-ce qui y a contribué ?
M : Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit probablement de l’un des plus grands succès. Mais cela ne veut pas dire que nous avons eu beaucoup de grandes victoires.
EC : Ce qui a probablement le plus contribué à son succès, ce sont quelques personnes très, très dévouées, dont Morgan, mais aussi d’autres personnes qui se sont vraiment surpassées et qui y ont consacré beaucoup de temps, de réflexion et de cœur.
M : Il y a eu un certain nombre de groupes de discussion visant à devenir des « assemblées populaires » à partir de cette première assemblée générale à l’échelle de la ville. La KPA est la seule où il y avait des révolutionnaires qui avaient une vision de l’organisation des quartiers et de la démocratie et qui ont proposé de faire de ce groupe une assemblée. Toutes les autres « assemblées populaires » issues de cette première réunion à l’échelle de la ville se sont éteintes très rapidement. Je pense qu’il y a eu des efforts similaires dans d’autres villes qui se sont également éteints, soit parce qu’ils n’ont pas pris le dessus, soit parce qu’ils ne se sont pas ouverts en tant qu’espace de quartier et qu’ils n’ont donc pas réussi à prendre leur envol. Il y a peut-être eu quelques exceptions, comme Portland.
EC : Je pense qu’il y a eu beaucoup d’engagement pour que KPA ne soit pas seulement un espace d’organisation typique et pour qu’elle soit aussi inclusive que possible, pas seulement pour les universitaires ou les organisateur-ices typiques, mais pour les personnes pas militantes.
Il y avait la barrière de la langue pour les termes juridiques. À l’époque où je suis arrivée, il y avait un–e interprète désigné–e pour chaque réunion, les notes étaient prises en anglais et en espagnol, et toutes les déclarations étaient faites en anglais et en espagnol. Mais quand cela a-t-il été mis en œuvre ?
M : Je pense depuis le début. Depuis le début il y a des gens dont je me souviens qui sont unilingues espagnole, quelqu’un qui était là était aussi membre d’un groupe, Antena Los Ángeles qui fournissait des services d’interprétation pour l’aide juridique. Je suis presque sûre que le groupe était bilingue dès le début, mais je ne me souviens pas exactement de la façon dont nous avons procédé sur le plan logistique lors de ces toutes premières réunions. La première Assemblée générale était trilingue, parce qu’elle était également en coréen, mais nous n’avons jamais eu de locuteur-ices coréen-nes monolingues pour participer aux réunions en cours.
CE : On a également essayé de ne pas centrer les réunions sur un horaire de 9h à 17h. C’était généralement le cas, malheureusement, mais on reconnaissait au moins que les horaires ne coïncidaient pas nécessairement avec ceux des employés de bureau qui ne travaillent pas de 9h à 17h. Certaines réunions et certains événements ont lieu à des heures différentes. Je pense qu’il s’agit simplement d’une série de déclarations d’intention générales à cet effet, n’est-ce pas ? Je pense aussi que nous aurions pu faire mieux, mais l’intention était là.
EC : Je pense que la géographie aide aussi : Koreatown n’est pas très grand, ce qui a facilité les rencontres et l’ancrage du projet dans l’identité du quartier.
M : C’est le seul quartier de Los Angeles où l’on a vraiment l’impression d’être dans une ville. En tant que groupe de quartier, nous avons pu organiser plus d’événements sociaux que si nous étions un groupe basé à Los Angeles, où nous sommes tous-tes à deux heures de route les un-es des autres.
EC : Je pense qu’il y avait aussi beaucoup de confiance au sein de la plupart des membres de l’organisation. Nous avions des lignes directrices communautaires solides, et pas seulement du genre « faisons-les », mais un engagement très fort à leur égard. Je pense que cela est lié à la première chose, à savoir la valorisation des différentes perspectives et le fait que l’expérience de chacun est aussi précieuse que celle de l’autre. Lorsque je suis arrivée, je pense que tout le monde avait déjà noué des relations.
M : D’une part, le fait de créer un groupe ou un projet pratique local signifie qu’il sera moins axé sur les différents groupes de gauche et les personnalités militantes.
Nous n’avons pas vraiment eu à nous occuper de cela à la KPA. Nous n’avons pas eu à faire face à des gens qui venaient pour essayer de flatter leur propre ego ou d’obtenir du crédit pour quelque chose.
Je pense aussi que le fait de travailler ensemble et de voir que l’on a un impact, que l’on sait ce que l’on fait et quel est l’objectif que l’on poursuit, permet aux gens de se concentrer et de garder les pieds sur terre. Le fait que le groupe soit davantage basé sur le quartier a permis de garder les pieds sur terre grâce aux nombreux liens existants avant le KPA, qu’il s’agisse d’ancien-nes élèves du lycée ou de collègues de travail. Beaucoup de gens travaillaient ensemble et se connaissaient depuis différents lieux de travail ou groupes.
Les complications du COVID et la présence de M. Biden à la présidence freinent la mise en œuvre de la KPA
BRRN : La KPA a lentement réduit ses activités avant de se dissoudre officiellement en 2022. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a conduit à son lent déclin et à sa fin ?
EC : Je pense que ce sont les membres de base qui sont parti-es, non pas parce qu’iels n’aimaient pas le travail, mais à cause de la vie : les gens déménagent, obtiennent des promotions, se marient, ont des enfants. Je suis allée à l’école de droit en dehors de Los Angeles, Morgan a dû déménager en dehors de Los Angeles à cause de son travail, et d’autres membres ont dû partir pour diverses raisons.
M : Nous nous réunissions en ligne parce que la pandémie avait dispersé un certain nombre d’entre nous. À ce moment-là, un certain nombre d’entre nous n’étaient pas à Los Angeles. COVID signifiait que nous nous réunissions sur Zoom et qu’il était beaucoup plus difficile de faire venir et de recruter des gens.
EC : À un autre niveau, tous ces éléments ont finalement conduit à sa disparition en raison de problèmes sous-jacents liés au recrutement et à la fidélisation. Il fallait bien connaître le fonctionnement du groupe pour ne pas s’ennuyer lors des réunions ou pour ne pas se sentir intimidé-e. Et même si je pense que nous avons essayé de faire des introductions à chaque fois sur le contexte et d’autres choses, ces réunions pouvaient parfois être longues, et donc les gens parfois oubliaient d’expliquer certaines choses. Il s’agit d’un petit groupe, nous faisions beaucoup de choses, et il n’y avait personne pour faire du recrutement de masse ; c’était juste des gens qui se mettaient en contact avec des personnes qu’iels connaissaient déjà.
Même s’il y avait des efforts de recrutement, il était difficile d’assurer le suivi des personnes pour qu’elles s’engagent réellement. En plus des réunions, il y avait aussi les activités principales : se relayer en tant que dispatcheur-euses, planifier les formations et répondre aux appels. De plus, beaucoup de choses ont commencé à arriver par Instagram au lieu de la ligne d’appel. Je pense donc qu’en général, il y avait trop de travail pour trop peu de personnes et je pense que cela conduit à l’épuisement. De plus, il était plus difficile pour les nouvelles personnes de se joindre à nous, car cela semblait très intimidant.
M : Nous avons toujours eu du recrutement et de l’activité lorsqu’il y avait des événements dans l’actualité liés à l’immigration. Pendant l’administration Trump, il y avait toujours des choses comme, « oh, DACA* va être abrogé », par exemple, et les enfants sont séparés à la frontière. Nous avons toujours eu un regain d’activité. Davantage de personnes venaient à nos événements ou à nos formations et, grâce à ces formations, les gens s’impliquaient dans le comité de planification, nous renforcions nos capacités, etc…
Sous Biden, cela a cessé de se produire. Il était beaucoup plus difficile de recruter des gens après l’élection de Biden, même si Biden a déporté autant de personnes que Trump l’a fait pendant son premier mandat. Mais, d’une certaine manière, ce n’était pas aussi tape-à-l’œil. Il s’agissait d’un processus beaucoup plus bureaucratique. L’attention n’était donc pas la même.
Rêver grand, commencer petit, se préparer pour le long terme
BRRN : Les assemblées populaires et de quartier suscitent beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme maintenant que Trump est revenu au pouvoir. Après avoir vécu cette expérience, quels conseils et leçons souhaiteriez-vous partager avec les organisateur-ices désireux-ses d’expérimenter ce type de structure de quartier ?
M : Ne soyez pas grandiloquent-e. Si vous sortez et déclarez simplement « je vais organiser une assemblée de quartier », cela ne se produira probablement pas. Je pense que si la KPA avait été convoquée à un autre moment, cela ne se serait pas passé de la même manière. Je pense que si nous avions essayé de faire la même chose après l’élection de Trump en 2024, cela ne se serait pas produit. La première élection de Trump en 2016 a été un moment unique où nous pouvions simplement distribuer des tracts dans les rues et où des inconnu-es qui n’étaient jamais venu-es à une réunion d’organisation auparavant se présentaient, parlant tous-tes des langues différentes. Aujourd’hui, il faudrait un travail de fond beaucoup plus important.
Il faut avoir tissé de nombreux liens avec les gens avant de convoquer une première assemblée. Si un certain nombre d’églises ou d’autres institutions sociales sont impliquées et qu’elles peuvent se porter garantes et refuser des gens, c’est déjà quelque chose. … Il y avait des gens qui avaient beaucoup de contacts dans le quartier, mais KPA a été créée sans beaucoup d’expérience, sans beaucoup d’organisation sur le terrain au départ, encore une fois à cause du moment où nous nous trouvions. Plus tard, nous avons noué des liens avec diverses églises. Si vous avez ce genre d’histoire et de relations, vous pouvez construire quelque chose comme KPA. Sinon, je pense que c’est assez difficile dans notre contexte politique actuel et dans un contexte où les gens ne sont pas très habitué-es aux assemblées de quartier. Si l’on veut y parvenir, il faut commencer modestement et être prêt à travailler pendant des années.
L’autre leçon clé est que, si vous arrivez à un stade où vous avez la capacité de convoquer une assemblée, vous devez avoir une structure et un processus de prise de décision à l’esprit dès le départ. Vous devez vraiment vous assurer que vos espaces sont des espaces démocratiques et ouverts de prise de décision et avoir une idée claire de ce que vous allez faire avec cela. Je pense que ce moment était également spécial lorsque la première assemblée a eu lieu en février 2017, juste après l’inauguration, parce que les problèmes et les réponses étaient tous deux très clairs pour les gens. Le problème dans le quartier était les raids de la ICE et la solution était de les arrêter, de les empêcher d’entrer. Notre tâche consistait à élaborer une stratégie et un ensemble de tactiques pour y parvenir.
Lorsque la situation est plus diffuse, qu’il y a un grand nombre de problèmes concurrents et que personne ne sait exactement ce qu’il faut faire, c’est beaucoup plus difficile et cela prend beaucoup plus de temps. Mais c’est aussi, je pense, la responsabilité des révolutionnaires de réfléchir à tout cela et de proposer les questions clés et les solutions clés, ce qui est la raison d’être de ces espaces, n’est-ce pas ? À partir de là, on en arrive à un projet concret. Je pense qu’une assemblée de quartier, comme n’importe quelle autre réunion, est inutile pour la plupart des gens si elle n’est pas claire : voilà ce que nous faisons, voilà comment et voilà quel est l’objectif.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l’Assemblée populaire de Koreatown, nous vous recommandons de regarder A Year in Popular Power #2 : Stopping ICE Raids with Koreatown Popular Assembly et de lire Koreatown Popular Assembly : Shutting Down ICE, Building Popular Power .
*Mis en place par le gouvernement Obama en juin 2012. Le DACA permet à certain-es immigré-ds mineur-es entré-es illégalement sur le territoire américain de bénéficier d’un moratoire de deux ans sur leur expulsion et à l’admissibilité au permis de travail.