La résistance palestinienne est largement évoquée depuis le début du mouvement pro-palestinien(et même avant). Elle demeure un concept ambigu, dont la définition et les limites varient d’un point de vue à l’autre. Quelle est-elle alors ? Qui la compose ? Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), l’organisation palestinienne préférée de l’histoire de l’extrême-gauche occidentale ? Le Hamas, sous lequel tout le spectre de la résistance est souvent amalgamé ? “L’axe de la resistance” qui inclut des régimes autoritaires comme celui d’Iran, feu celui d’Assad en Syrie, ou encore le Hezbollah au Liban, favoris des campistes “anti-impérialistes” ? “Le peuple” dans son ensemble, et l’ambiguité même que ce terme peut recouvrir ?
De même, le terme “Intifada” est utilisé de manière variée. Pour certains, il désigne une simple révolte contre l’oppression, sans plus de précisions. Pourtant, les deux grandes intifadas (1987-1993 et 2000-2005) ont été marquées non seulement par des émeutes et des attaques contre le colonialisme, mais surtout par des formes d’organisation autonome, donnant parfois naissance à des séquences quasi insurrectionnelles. Ce sont précisément ces mouvements vastes, échappant aux partis traditionnels, qui ouvrent des brèches vers un possible futur révolutionnaire.
Si nous souhaitons la fin du colonialisme pour le peuple palestinien, nous voulons avant tout soutenir, par tous les moyens, les luttes organisées à la base.
Au-delà des organisations officielles
Réduire la résistance palestinienne à des organisations comme le Hamas ou le FPLP revient à adopter une conception autoritaire de la lutte, mais aussi à entretenir une vision fantasmée du Moyen-Orient, ignorant les contradictions internes à la société palestinienne ainsi que les luttes locales. À Gaza, par exemple, le mouvement “Fuck Hamas. Fuck Israel. Fuck Fatah. Fuck UN. Fuck UNWRA. Fuck USA!” de 2010 illustre bien ces dynamiques de contestation qui ne se limitent pas aux factions reconnues.
Plus récemment, en 2019 et en juillet 2023, des manifestant-es gazaoui-es ont été réprimé-es par le Hamas pour avoir exigé des conditions de vie meilleures. Enfin, depuis le 25 mars dernier, des milliers d’habitant-es de Gaza désespéré-es par le retour des bombardements, sortent pour exprimer leur rage contre la guerre et contre le Hamas, n’ayant plus grand chose à perdre deux ans après le début de l’offensive génocidaire actuelle. L’un des leaders du mouvement a été, quelques jours plus tard, kidnappé, torturé, et exécuté par des milices du Hamas. Evidemment, la fin de la résistance militaire à l’heure actuelle ne signifierait rien d’autre qu’une occupation totale de la bande de Gaza par Israël. Cela est visible dans les revendications mêmes des manifestant-es : ils et elles dénoncent les élites du Hamas qui les gouvernent depuis l’étranger, mais remercient les combattant-es palestinienn-nes (dont du Hamas) à Gaza avec qui iels vivent ensemble l’occupation et les bombardements, la faim et le deuil de ses proches.
Malgré tout, ces manifestations rappellent que le Hamas tire la force de la résistance quotidienne des gazaoui-es aussi bien que de leurs énormes sacrifices depuis le début de la guerre, et non l’inverse. Elles rappellent aussi toute la complexité du rapport des Palestinien-nes au Hamas : si certain-es s’y engagent en embrassant pleinement l’idéologie autoritaire de cette organisation proto-étatique, d’autres le font uniquement pour obtenir des armes et pouvoir se défendre, sans réelle adhésion à celle-ci pour autre chose que son opposition aux forces occupantes.
Depuis des décennies, les Palestinien-nes résistent par tous les moyens possibles contre l’occupation coloniale. A peine la Nakba terminée et les nouvelles frontières israéliennes érigées, des dizaines de milliers d’exilé-es se précipitent pour retourner vers leurs terres volées. Certain-es sont armé-es et mènent des attaques contre les colons. Entre 3000 et 5000 palestinien-nes sont alors tué-es par l’armée israélienne. La revendication du “droit au retour” reste centrale à toutes les luttes palestiniennes, comme le rappelle la grande marche de retour de 2019, lors de laquelle les snipers israéliens ont assassiné plus de 200 manifestant-es.
La lutte anti-coloniale en Palestine est profondément imbriquée avec les différents aspects de la vie quotidienne : la politisation se fait dès le plus jeune âge quand on fait face aux attaques des colons, aux checkpoints de l’armée, au vol des terres, de l’eau et des sources de subsistance, ou à l’emprisonnement de ses proches. Elle peut prendre la forme d’une résistance active contre les attaques des colons, comme à Massafer Yatta, la communauté rendue célèbre par le documentaire No Other Land. Elle peut aussi être moins spectaculaire, mais non moins subversive, comme le montre le film Foragers (2022), lorsque les palestinien-nes continuent à sortir en masse pour cueillir l’akkoub, une plante palestinienne traditionnelle dont Israël a banni la cueillette.
La résistance dans les prisons : un front essentiel
Cette résistance s’exprime également dans les prisons. L’entraide et la solidarité entre prisonnier-es constituent en elles-mêmes un acte de lutte. À l’intérieur des cellules, les détenu-es s’organisent : ils et elles se donnent des cours, lisent, s’entraident, mais mènent aussi des actions collectives, notamment à travers des grèves de la faim ou des tentatives d’évasion.
Un exemple frappant de cette solidarité carcérale remonte à 1995. Dans le cadre des accords d’Oslo II, le directeur de la prison coloniale de Hasharon avait annoncé la libération de toutes les prisonnières palestiniennes, à l’exception de cinq d’entre elles. En réponse, l’ensemble des détenues s’étaient enfermées dans deux cellules, refusant d’en sortir. Après seize mois de lutte acharnée, elles avaient obtenu la libération de toutes les prisonnières.
En finir pour de bon avec la pacification
En France, le mouvement de solidarité avec la Palestine a émergé avec force en octobre 2023, mais son énergie initiale a rapidement été absorbée et neutralisée par des organisations pacificatrices. Dès les premières manifestations, celles-ci ont imposé un cadre rigide, privilégiant des discours modérés et institutionnels. Ce verrouillage a brisé un élan de révolte qui aurait pu s’intensifier.
Nous avons ainsi assisté à des manifestations extrêmement pacifiées, marquées par des appels fades tels que “cessez-le-feu” et des prises de parole interminables d’élu-es. La vacuité de ces mobilisations et du rapport à la “résistance palestinienne” s’est parfaitement illustrée dans la célébration de la “victoire arrachée par la résistance” lors de la signature du cessez-le-feu avec Israël. Au-delà de la mobilisation sous des mots d’ordre fades, cela témoigne notamment d’un manque de perspectives réellement révolutionnaires.
Cela témoigne aussi de l’absence d’une réelle analyse des actuels rapports de force et des considérations stratégiques de l’Etat israélien, au-delà des effets d’annonce d’un côté comme de l’autre des partis négociateurs. Si l’on se réjouit bien évidemment d’un (bien trop court) moment d’air frais accordés aux gazaoui-es et de toute libération de prisonnier-es, peut-on pour autant considérer comme une victoire le retour à la normalité de l’ordre colonial ? Comme on l’a vu les semaines ayant suivies le “cessez-le-feu” – qui n’a en réalité jamais cessé, des bombardements israéliens ayant continué dès les premiers jours de sa signature – celui-ci a surtout servi au gouvernement israélien pour mener une attaque d’envergure sur la Cisjordanie occupée, y intensifiant les raids quotidiens et meurtriers. Les prisons israéliennes vidées après les accords ont aussitôt étaient remplies à nouveau. A la première occasion et à la surprise de personne, l’Etat israélien a refusé de faire sa part, mis fin au cessez-le-feu et repris son offensive génocidaire sur Gaza. La “grande victoire de la résistance” a été de bien courte durée. Elle illustre la nécessité d’obtenir des gains permanents qui ne dépendent pas du bon vouloir du colon, d’attaquer sa domination de sorte qu’il ne puisse pas se perpétuer.
Au fil des mois, une prise de conscience s’est opérée au sein du mouvement : tout ne se joue pas uniquement dans la rue et dans les chiffres de mobilisation. Face à l’inertie des structures officielles et au verrouillage des canaux d’action traditionnels, de nombreuses personnes ont choisi d’adopter des modes d’action plus offensifs.
Des formes de résistance plus radicales ont émergé : auto-réductions dans les supermarchés, sabotages économiques, bris de vitrines de multinationales complices de l’occupation israélienne, affrontements avec les forces de l’ordre… Ce tournant a marqué une rupture avec les organisations “historiques” de soutien à la Palestine, figées dans une vision strictement humanitaire et paternaliste du peuple palestinien.
Cette rupture dépasse largement la France. Partout dans le monde, des individu-es refusent cette approche pacifiée et revendiquent une solidarité active, ancrée dans une confrontation directe avec les responsables de l’oppression.
Néanmoins, il est fondamental de savoir se remettre en question, en particulier dans les périodes charnières. En mai 2024, alors que des manifestations spontanées ont émergé et se sont prolongées pendant plus d’une semaine, très peu de personnes ont su ou voulu saisir cette séquence pour tenter quelque chose de plus subversif. Ce type de moment, bien que bref, aurait pu servir de tremplin pour faire émerger de nouvelles dynamiques collectives, dépasser le simple réflexe de la protestation symbolique, et construire un rapport de force plus durable. Malheureusement, la majorité s’est contentée de suivre le rythme, sans volonté réelle de s’inscrire dans une stratégie plus offensive.
On peut comprendre la difficulté d’agir dans l’urgence, de s’organiser, etc… surtout face à une répression toujours plus rapide et violente. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’absence quasi-totale d’initiatives concrètes visant à étendre, renforcer ou diversifier la lutte. Ce manque d’élan collectif, cette tendance à l’attentisme, voire à la passivité, ont fini par décourager et éloigner bon nombre de personnes issues de l’autonomie, pourtant prêtes à s’investir dans un mouvement plus large.
Il devient donc crucial de ne pas reproduire les mêmes schémas à chaque sursaut. Si nous voulons éviter le retour perpétuel aux “manifs plan-plan” et à l’essoufflement militant, il faut apprendre à mieux lire les contextes, à anticiper, à créer du lien, et surtout à oser sortir des cadres habituels pour tenter autre chose, ensemble.
Georges Abdallah et la lutte anti-carcérale
Un autre axe central du mouvement a été le soutien massif à Georges Abdallah, incarcéré à la prison de Lannemezan. Régulièrement, des manifestations sont organisées devant cet établissement, offrant l’occasion d’exprimer une solidarité plus large avec tous-tes les prisonnier-es.
En Israël, l’emprisonnement massif des Palestinien-nes est une arme de contrôle et de terreur, destinée à briser toute résistance. En France, la prison enferme avant tout les classes populaires, les racisé-es et les individu-es engagés contre l’ordre établi. Dans les deux cas, et partout ailleurs, elle fonctionne comme un outil politique de contrôle au service des États.
Il est donc crucial de soutenir les luttes des prisonnier-es et d’adopter une approche globale de la question carcérale. Pourtant, nous avons été surpris-es de constater que lors des rassemblements devant la prison de Lannemezan, aucune prise de parole des organisateur-ices ne faisait le lien entre le combat pour la libération de Georges Abdallah et celui des autres prisonnier-es. Cette dissociation est problématique : elle revient à hiérarchiser les prisonnier-es, à légitimer certains emprisonnements et à invisibiliser les luttes collectives au profit d’une seule figure. Elle l’est d’autant plus qu’elle peut aller à l’encontre de l’engagement même de Georges Abdallah, dont les activités à l’intérieur témoignent d’une solidarité avec les prisonnier-es plus large, comme celle qu’il a pu démontrer avec les prisonniers Kanak déportés en France et incarcérés à Lannemezan.
La solidarité avec les prisonnier-es ne doit pas être une revendication ponctuelle, mais une composante essentielle d’un combat plus large contre l’enfermement et la répression d’État. Plus largement, elle doit s’inscrire dans une remise en cause globale du système carcéral et de l’État sous toutes ses formes. La notion de “prisonnier politique” et la focalisation sur de grands noms de militant-es respectables “qui ne devraient pas se trouver en prison” affaibilit cette remise en cause, et ne peut apporter une contestation solide au colonialisme et au racisme qui sous-tendent toute forme d’incarcération en Israël comme en France.
Un mouvement inédit qui n’a cessé de gagner en intensité
Le mouvement de solidarité avec la Palestine est l’un des rares de ces dernières années à avoir adopté une véritable perspective internationaliste. À travers le monde, des militant-es ont réussi à se coordonner, à organiser des journées d’action communes et à établir des ponts entre différentes luttes.
Ce qui distingue ce mouvement, c’est son ancrage dans des formes d’actions multiples et son rejet croissant des cadres institutionnels. Là où les grandes ONG et structures traditionnelles limitaient la contestation à des manifestations encadrées et à des appels aux gouvernements, de nouvelles formes de mobilisation ont émergé : occupations d’universités, blocages d’entreprises complices, sabotages économiques… Ces initiatives ont contribué à radicaliser la lutte et à la sortir de l’impasse institutionnelle.
De plus, ce mouvement a permis de faire le lien entre la question palestinienne et d’autres luttes : anticolonialisme, anticapitalisme, antifascisme, luttes anti-impérialistes, luttes féministes et queer… Il ne s’agit pas seulement de dénoncer les crimes israéliens, mais d’inscrire la cause palestinienne dans une lutte plus vaste contre tous les États et tous les colonialismes. Si ce mouvement s’est intensifié ces derniers mois, il nous appartient désormais de le faire durer, par tous les moyens nécessaires.
Le marasme citoyenniste
Nous avons rappelé à de nombreuses reprises qu’il n’y avait rien à attendre de l’État, qui collabore activement avec Israël et tire profit de la colonisation. Il est également nécessaire de souligner qu’aucun espoir ne peut être placé dans ceux qui évoluent sous sa protection. Associations humanitaires, organisations pacificatrices, et même les structures prétendument radicales prospèrent avec la bénédiction de l’État, tandis que celui-ci finance la colonisation.
Si l’autorité nous accepte, nous autorise ou nous tolère, c’est bien la preuve que notre radicalité n’est qu’un simulacre et que notre capacité de nuisance est dérisoire, voire inexistante.
Le constat est accablant : encore et toujours ce même réflexe citoyen… L’illusion persistante qu’il suffirait d’interpeller les députés, d’exiger une action gouvernementale, d’appeler l’État à l’aide.
Il est temps d’accepter notre orphelinat politique. Il n’y a personne à supplier, personne qui viendra nous secourir. Tous les espoirs de cessez-le-feu ou de sanctions diplomatiques sont illusoires, absurdes – comme s’il s’agissait d’un État-père que l’on espère voir revenir à la raison, quand il n’a cessé d’être un père violent.
Que peut-on réellement attendre d’une manifestation de soutien, d’une pétition, d’un hashtag sur les réseaux sociaux ? Toutes ces formes d’« action » ne font que prolonger l’espoir d’une intervention étatique qui ne viendra jamais.
Nous savons où est l’ennemi. Nous savons où vivent ceux qui profitent, ceux qui financent, ceux qui s’enrichissent sur le génocide. Leurs adresses sont connues. Frappons-les !
A bas les partis, intifada et révolution ! Continuons de foutre le bordel (C’est bientôt le 1er mai en plus!)
Le RISI (risque d’intifada soudaine et immédiate)
risi-1967@protonmail.com