Initialement publié sur Indymedia Nantes, le 31/03/2025.
Bientôt adoptée à l’assemblée après avoir été adoptée au sénat à l’unanimité, la loi dite “narcotrafic” contient son lot de dégueulasseries en tant qu’énième loi intensifiant la société carcérale de surveillance et répression généralisées. Engouffrée dans tout un vocabulaire guerrier de surenchère raciste sous couvert de guerre à la drogue, cette loi transpartisane écrite par un binôme PS-LR est largement poussée par les macrono-fascistes Retailleau et Darmanin comme par les facho-fascistes du RN qui en ont profité pour introduire tout un tas d’amendements dégueulasses à des articles déjà bien horribles. Nombre de sites et de presse militantes ont appuyé sur quelques-unes des mesures pour s’en scandaliser, quasi-toujours en les recentrant sur certaines pratiques et milieux militants spécifiques et les extrayant d’un contexte raciste et autoritaire plus général. On a voulu faire un tour d’horizon de ce que contient et accompagne cette loi ; non pas parce qu’on pense pouvoir interpeller les parlementaires d’un quelconque bord pour empêcher son adoption (il ne fait aucun doute que la grande majorité de la loi passera l’assemblée comme elle a passé le sénat, et passera de même le conseil constitutionnel et autres institutions pompeuses inutiles), mais parce qu’on pense qu’elle mérite une opposition active dans son ensemble, ainsi qu’une diffusion plus large de tout ce qui s’y trouve.
Largement diffusée un peu partout et notamment chez les grands défenseurs de la liberté d’expression, la mesure fortement décriée pour construire des backdoors dans les messageries cryptées (style Signal, Telegram ou WhatsApp) a été supprimée en commission, et n’a pas réussi à revenir par le biais d’amendements. C’est peut-être l’une des seules grosses mesures qui n’aura pas réussi à passer l’opposition ardue des députés (en vrai, c’est surtout parce que le RN n’a pas suivi le gouvernement dessus, ça fait rêver la démocratie).
En terme de surveillance numérique généralisée, après avoir été supprimées en commission mais rétablies à l’assemblée, les fameuses “boites noires” vont elles être encore étendues – comme c’est le cas au fil des lois depuis leur introduction, initialement plus “limitée” à des cadres antiterroristes il y a une dizaine d’années. Celles-ci utilisent la vidéosurveillance algorithmique pour aspirer l’ensemble des métadonnées téléphoniques et internet du monde entier, les passer dans des algorithmes, et rechercher toute trace de “comportement suspect”. Surveillant ainsi la terre entière en analysant un réseau de télécommunications, et donc toute personne l’utilisant, les renseignements pourront ensuite demander l’identification de la personne concernée si un comportement est trop suspect. Sinon, les données sont en théorie censées être supprimées, mais qui y croit vraiment ? Après tout, comme leur nom l’indique, elle ne dispose d’aucune sorte de contrôle autre que le premier ministre (ouf !) et seront globalement classifiées. Si les boites noires sont actuellement surtout destinées à l’antiterrorisme, les dispositions de la loi narcotrafic l’étendent au “crime organisé” pour le trafic d’armes, de stupéfiants et du blanchiment de produits en étant issue. Le gros bouffon du PS et son compaire de LR derrière la loi se félicitent explicitement d’une technique “particulièrement invasive qui s’apparente à une surveillance de masse”.
Dans l’optique de viser les gros trafiquants et le trafic à l’intérieur, la loi dipose d’un gros volet “carcéral” destiné à rendre la vie en taule toujours plus difficile. Cette loi offre ainsi des petits cadeaux aux matons, tels que des drones pour jouer en prison – dont dans les cellules, ce qui correspond concrètement à une violation de “domicile” que les drones ne peuvent pas (encore ?) faire à l’extérieur – ou des caméras à l’intérieur de tous les fourgons pénitentiaires. “L’intrusion” sur le domaine pénitentiaire deviendra aussi un délit, ce qui fait suite à de récentes évolutions donnant aux matons le pouvoir de police dans celui-ci. En gros, toute personne “non désirée” présente sur le parking, à l’accueil famille ou aux abords d’une prison pourra être arrêtée (y compris par les matons) et poursuivie pénalement. Une double peine raciste d’interdiction de territoire systématique – sauf bon vouloir du bon juge – est aussi prévue pour tout-e étranger-e condamné-e pour une peine d’au moins 5 ans de taule liée au trafic de stupéfiants. Cela suit par ailleurs les consignes données par Darmanin de faire la chasse aux étranger-es dans les taules pour expulser autant que possible et faire de la place afin d’enfermer toujours plus de personnes.
Le gros morceau se trouve surtout dans le nouveau régime carcéral que Darmanin est allé recopier chez la copine facho en Italie (bien que là-bas aussi, il ait été inventé par les socialistes), en s’inspirant du régime anti-mafia “41 bis” – dont on a beaucoup entendu parler il y a quelques années à l’occasion de mobilisations pour sortir l’anarchiste Alfredo Cospito du 41 bis, relire par exemple ce texte et d’autres publiés sur le même site. Certaines des dispositions vont de pair avec la loi narcotrafic, d’où le fait qu’on en parle ici, mais d’autres y sont simplement couplées en terme de timing et auront lieu en dehors de toute adoption de la loi, commençant à se mettre en place dès aujourd’hui.
Ce nouveau régime de “quartiers de haute sécurité” est vendu pour les “plus grands narcotrafiquants”, mais s’applique déjà en pratique au vague spectre de “personnes issues de la criminalité et de la délinquance organisées”. Il implique un isolement amplifié des personnes qui y seront placées (par la direction nationale de la police judiciaire, l’administration pénitentiaire, les magistrats instructeurs… qui feront des suggestions au ministre de la justice) pour 2 ans renouvelables (un allongement déjà énorme du régime d’isolement actuel) : un accès très restreint au téléphone (2-3 heures maximum par semaine), des parloirs hygiaphones (à travers des vitres blindées, sans aucun contact physique possible), l’interdiction d’accès aux unités de vie familiale et globalement de tout contact avec ses proches, une fouille intégrale systématique en cas d’un quelconque contact physique non surveillé par un maton, des promenades accompagnées d’un maton sur toute la durée (pour éviter tout contact non contrôlé entre prisonnier-es, qui seront réparti-es dans des ailes de maximum 4-5 personnes), un recours étendu aux visioconférences (destiné à s’étendre à tous-tes les prisonnier-es)… le tout avec une présence permanente d’une équipe d’ERIS (les CRS des matons) sur place. Darmanin le décrit comme un “régime d’étanchéité avec l’extérieur”, qui pourra par ailleurs permettre de forcer des prisonnier-es à accéder au statut de repenti (un nouveau statut pour les poukaves dont tout un tas de dispositions sont aussi prévues dans la loi) pour éviter d’y être astreint-es. Comme quoi, la torture ça fonctionne bien !
Des travaux et un renfort d’effectif en maton sont d’ores et déjà prévus pour cet été/automne afin d’adapter les prisons ultra-sécurisées de Vendin-le-Vieil puis de Condé-sur-Sarthe à de tels quartiers ultra-ultra-sécurisés, et y transférer les plus grands narcotrafiquants emprisonnés pour application immédiate, dans l’attente de la construction de nouveaux établissements similaire d’ici 2027. Il est à noter que cela implique que ce régime carcéral s’appliquera à tous les prisonniers enfermés dans ces taules. Si la majorité va être transféré ailleurs d’ici l’application, une certaine partie (et notamment beaucoup de prisonniers “célèbres” ou “des plus dangereux”) y restera indépendamment de lien avec le narcotrafic.
On notera au passage que certaines de ces dispositions sont déjà la norme dans ce genre de prison et contre certain-es prisonnier-es aux conditions particulièrement dures (la mise à l’isolement renouvelée à rallonge, les fouilles à nu déjà parfois systématiques, la généralisation de la visio pour des audiences…). Cette loi consiste concrètement en une généralisation de ces mesures exceptionnelles en nouvelle règle. Là, le ruissellement ça marche : le durcissement de ces conditions va naturellement s’étendre à toutes les prisons, les régimes toujours plus infâmes servant à discipliner toute subversion à l’intérieur. Sur les prisons ultra sécurisées de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe, véritables quartiers d’isolement géants, on peut lire le témoignage de Fabrice Boromée, incarcéré à Vendin où il subit des brimades racistes par les matons, ou écouter les émissions de l’Envolée du 7 mars et du 14 mars, qui reviennent notamment sur ce nouveau régime de torture et sur la loi narcotrafic.
Ce durcissement à l’intérieur des prisons s’accompagne de tout un nouvel arsenal répressif. On y retrouve par exemple une augmentation de la peine pour association de malfaiteurs (qui devient un crime) et d’autres allongements de peine divers et variés, un allongement à 120h de la garde à vue pour les mules, ainsi que la suppression de la confusion des peines en concours. En gros, on pourra être condamné-e plusieurs fois pour des trucs faits en même temps, dans une limite de 30 ans maximum, plutôt que les peines soient jointes en considérant qu’il n’y a qu’un seul fait – ce qui fait rêver quand on sait à quel point les procureurs adorent rajouter des délits à foison dans chaque affaire. On y retrouve aussi la création de peines contre les guetteurs, les mules, les mineur-es “dans le réseau de crime organisé, sans délit ou intention de”, toute apologie d’une organisation criminelle, ou le fait de “concourir sciemment et de façon fréquente ou importante à l’organisation ou au fonctionnement d’une organisation criminelle”… Si ça paraît flou et arbitraire, c’est que c’est bien fait ! Même Darmanin a trouvé ça un peu abusé, mais bon il a dit pourquoi pas tant qu’on fait attention à la liberté d’expression et blablabla…
Un nouveau parquet anti criminalité organisée (et pas antistup, comme pourrait le sous-entendre le nom de la loi) va aussi être créé, lui laissant la marge de définir son domaine d’application. La “criminalité organisée” semble être le terme tendance de cette loi : balancé dans tous les sens un peu partout, il permet notamment de laisser aux keufs, procs et juges une certaine latitude pour y faire rentrer tout ce qu’ils veulent. Son cadre y est encore plus étendu, prévoyant tout un tas de mesures applicables dans le cadre de la criminalité organisée pour déroger au droit commun. De fait, pour le nouveau régime carcéral haute sécurité comme pour toute la liste de nouvelles mesures répressives, ces mesures sont déjà prévues pour une application large à tous les pans de la société qui ne plairont pas à ceux qui nous gouvernent.
Comme bien explicité dans l’émission de l’Envolée sur le sujet, cette loi vise notamment à offrir tout un cadre juridique à des pratiques policières extra-légales déjà existantes et bien répandues, pour pouvoir toujours plus renforcer le pouvoir des keufs et vaincre le fléau du “laxisme judiciaire”. Cette volonté est pleinement assumée et explicitée dans d’autres mesures phares et fortement décriées : le “dossier-coffre” est ainsi destiné à empêcher des personnes de s’en sortir à cause de nullités et vice de procédures, en cachant tout simplement les PV mal écrits et abus extrajudiciaires des keufs (sonorisations, captations de données informatiques, identité des flics impliqués…) dans un dossier qui ne sera pas consultable par la défense, mais sera néanmoins pris en compte par les juges pour condamner.
Cela ira aussi de pair avec une généralisation de l’activation à distance de tout micro ou caméra d’appareil mobile (et tout autre appareil connecté) afin d’espionner leurs propriétaires – et toute personne à proximité, qui pourront ensuite être versées au fameux dossier-coffre pour éviter qu’une personne puisse savoir contre quoi elle doit se défendre – ça pourrait lui permettre de s’en sortir après tout ! Si le dispositif est accompagné de quelques mesures bâteau pour “le rendre constitutionnel” et y apposer des “garde-fous démocratiques” (c’est-à-dire faire le minimum du minimum pour ne pas se faire censurer, comme cette mesure a pu l’être dans la loi justice de 2023), l’arbitraire général de la loi y est tout aussi présent : ce sera ainsi limité “aux infractions les plus graves”, “pour une durée plus limitée” (est-ce qu’il suffira de l’éteindre et le rallumer ?) et “au plus haut du spectre en terme de criminalité organisée” (c’est précis ça !).
S’il y a bien un endroit où l’extrajudiciaire des cowboys policiers règne et où cette loi prendra pleinement son sens, c’est dans les quartiers populaires. L’application concrète de tout ce pas-si-nouveau nouvel arsenal répressif prend alors tout son sens dans le harcèlement policier constant dans les quartiers. L’arbitraire et le flou de tous ces nouveaux petits délits qui peuvent s’appliquer à peu près à tout le monde sont parfaitement calibrés pour que les baqueux de tout le pays puissent se donner à coeur joie d’un déchaînement raciste et ultraviolent qui sera encore plus soutenu par ce nouveau cadre légal, et d’autant plus suivi dans des poursuites judiciaires toujours plus mirobolantes, jusqu’à ce que les matons puissent prendre la suite dans des prisons toujours plus sécurisées. Au milieu d’une rhétorique centré sur les “grands narcotrafiquants”, les dispositifs répressifs visent en réalité pas mal les “petits” rouages ; en premier lieu, tout un tas de trucs et de choses destinées à cibler les guetteurs, et notamment à outrepasser des limitations dûes à la minorité de certain-es.
Outre les nouvelles peines sus-citées, le flou artistique des formulations permettra d’appliquer le statut de guetteur – et donc de faire suivre toute la tempête répressive – à n’importe quel jeune qui traîne dehors que les flics auront envie de harceler ce jour-ci. S’y ajoute notamment une interdiction de paraître sur “les points de deal”, qui, on s’en doute, pourront être définies très librement. Cette mesure pourra (comme si ce n’était pas déjà assez dégueulasse en soi !) être doublée d’expulsions locatives de la famille entière si la personne visée est logée sur le fameux point de deal ou si “les agissements de la personne en lien avec des activités de trafic de stupéfiants troublent l’ordre public”. Les “commerces soupçonnés de blanchiment” pourront être fermés administrativement pendant 6 mois par les préfets, pouvant être prolongés de 6 mois supplémentaires par le ministre de l’intérieur. Pour ne faire aucun jaloux, un amendement RN a permis aux maires de pouvoir aussi prononcer de telles fermetures, limitées elles à 1 mois seulement.
Il ne fait évidemment aucun doute que la désignation des “points de deal” par les keufs ou les préfets – des créatures bien connues pour leurs légendaires approximations – pourra être appliquée sur à peu près tout ce qu’ils veulent, tout comme la désignation des guetteurs. Avec un Etat, une police et une justice racistes et néocoloniales, nul doute que l’entièreté de nos quartiers pourra être catégorisée comme point de deal. Nul doute encore que l’entièreté de leurs habitant-es pourra être poursuivi-e par ci ou ça, harcelé-es encore plus facilement (comme si ca ne l’était pas déjà assez !) par tel ou tel keuf régulièrement.
Au-delà des spécificités de la loi narcotrafic, c’est toutes les lois et institutions racistes et policières qu’il faut abattre. Au-delà des spécificités des quartiers haute sécurité, c’est toutes les prisons et lieux d’enfermement qu’il faut cramer. L’État policier carcéral n’est pas une abstraction : c’est une multitude d’acteurs et d’organismes qui ont des noms et des adresses, que l’on peut directement attaquer pour mettre fin à leurs agissements. Parti Socialiste, Les Républicains, Europe Écologie Les Verts, Macronistes, Front National… les lois ne se votent pas toutes seules, mais par des députés et sénateurs au sein de leurs permanences aux vitres si fragiles. Les très chers travailleurs de comicos, de taules et de tribunaux rentrent bien chez eux à un moment, garent bien leurs bagnoles quelque part, et ils font tout de suite moins les malins. Les prisons et centres de rétention ne se construisent pas tout seuls : d’innombrables entreprises participent aux travaux comme à l’entretien et au bon fonctionnement de ces enfers de béton.
Ils ne pourront jamais surveiller tous nos faits et gestes. Ils ne pourront jamais étouffer tout acte de subversion à leur ordre. Ils ne pourront jamais abattre notre détermination à détruire ce monde de merde.
Contre toute surveillance, généralisée ou pas !
Contre tous les racistes, en uniforme ou en cravate !
Contre toutes les prisons, haute sécurité ou pas !
Contre toutes les lois, nik la loi narcotrafic !
Sources :
– l’émission de l’Envolée sur la loi narcotrafic du 14/02 : https://lenvolee.net/2025/02/17/lettres-de-julien-aurelie-pascal-et-andre-discussion-autour-de-la-loi-narco-trafic/, et celle du 14/03 https://lenvolee.net/2025/03/16/contre-les-violences-detat-le-racisme-les-deportations-et-les-regimes-delimination/
– DARMANIN DÉCLARE LA GUERRE AUX PRISONNIER·ES https://lenvolee.net/2025/03/27/darmanin-declare-la-guerre-aux-prisonnier%c2%b7es-2/
– les articles de la Quadrature du Net : https://www.laquadrature.net/narcotraficotage/
– les textes sur le site du Sénat / de l’Assemblée
– divers articles de presse