Publié par Organise! Magazine, le 26/07/2024.
Le Centre Social ABBA de Cuba
De Cuba, les compagnons et compagnonnes du centre social ABRA nous envoient un message pour demander soutien et solidarité de l’anarchisme international afin d’améliorer leurs locaux et pouvoir continuer leurs activités.
L’importance d’un centre social anarchiste dans une complète dictature ne peut être ignorée, il est donc de la plus haute importance que nous nous tenions ensemble dans la mesure de nos possibilités.
Message de l’ABRA :
« La Bibliothèque Libertaire et le Centre Social ABRA, seul espace explicitement anarchiste à Cuba, vont atteindre les 6 ans depuis leur ouverture grâce à la solidarité internationale anarchiste. »
Actuellement, certaines parties de la maison à deux étages possèdent des fissures et des fuites, ce qui nécessite des réparations que nous n’avons pas les moyens d’effectuer, et c’est pour cela nous sollicitons votre aide.
Pour contribuer au Centre Social ABRA, l’argent sera collecté sur le compte suivant au Mexique :
Bénéficiaire : Felipe Matias Reyes
CLABE: 646069206840161874
Numéro de carte : 5428780122809395
Institution : STP
Vous pouvez aider depuis n’importe quel pays, indiquez juste “Solidaridad” dans la référence afin d’avoir une vision fiable du soutien et de la solidarité qui arrive.
La solidarité est notre meilleure arme.
Initialement publié par la Fédération Anarchiste du Mexique.
Faits et circonstances d’une quatrième génération d’anarchistes à Cuba. Notes de l’intérieur.
Une organisation comme celle-ci a donné un grand groupe de jeunes de cette époque qui ont réussi à se remettre de la séquestration stalinienne, avec le soutien de la police, de la Confédération nationale ouvrière de Cuba (CNOC), chef-d’œuvre des anarcho-syndicalistes cubains, avec Alfredo López comme l’une des figures les plus représentatives de l’engagement collectif de la deuxième génération d’anarchistes à Cuba. La Fédération des Jeunesses du milieu des années 30 a également réussi à donner un nouvel élan à la légendaire, mais déjà en déclin, Fédération des Groupes Anarchistes de Cuba (FGAC), qui a donné naissance en 1942 à l’Association Libertaire de Cuba (ALC) et à des organisations d’inspiration anarchiste importantes et aujourd’hui oubliées telles que la Fédération des Associations Paysannes (FAC), l’Association des Combattants Antifascistes (ACA), les plus discrets mais tout aussi actifs, Comités de Défense Locaux (CDL) et une sérieuse tentative ratée d’intervention dans le monde du travail cubain comme la Confédération Générale des Travailleurs (CGD), pour faire face au monopole stalinien sur le monde syndical qui s’était établi depuis le 28 janvier 1939, avec la création de la Centrale des Travailleurs de Cuba (CTC).
Ce tissu organisationnel de la troisième génération de libertaires cubains, a également donné lieu à une vie sociale animée et un mouvement éditorial anarchiste florissant, qui a renouvelé la présence de longue date des médias et des activités publiques anarchistes à Cuba. Ainsi, trois Congrès Libertaires (1944, 1948, 1950) furent organisés, les activités et pratiques ayant des perspectives anti-autoritaires dans les associations paysannes et les associations de quartier se sont répandues dans le reste du tissu géographique et social du pays, dans les régions du pays marginalisées par d’autres tendances d’idées, par quelques tentatives dans le mouvement associatif afro-descendant et dans la sphère artistique, un héritage d’expériences que la quatrième génération d’anarchistes à Cuba essaie de reconstruire et redécouvrir dans le Cuba des trois dernières décennies, avec le soutien intermittent de ces camarades vétérans de l’ALC, en particulier Frank Fernandez, qui dans les années 90 ont fondé en Floride le Mouvement Libertaire Cubain et ont publié ce livre précieux et chaleureux L’anarchisme à Cuba (El anarquismo en Cuba), magnifiquement édité par la Fondation Anselmo Lorenzo de Madrid.
En l’absence d’un registre détaillé de l’activité anarchiste à Cuba entre 1961 et le début des années 2000, et en prenant pour référence notre propre expérience personnelle, la quatrième génération d’anarchistes à Cuba a acquis une forme organisationnelle explicite avec la création le 1er mai 2013 de l’Atelier Libertaire Alfredo López, en hommage à la figure de proue de l’anarcho-syndicalisme à Cuba et aux martyrs de Chicago. « L’atelier », comme nous l’appelons affectueusement a, en ces dix années d’existence, essayé de prendre en charge tout le long vide de mésaventures générées par la longue nuit stalinienne-fidelista a été le maillon de la société cubaine, mais aussi de toute la désagrégation sociale, de l’autoritarisme scientifiquement naturalisé dans la mentalité de plusieurs générations et de la faible réflexion sur les moyens et les formes d’organisation, qui ont prospéré à Cuba avant 1959, avec la troisième génération anarchiste à Cuba.
Tout ce qui précède a dû être accompli au milieu du gigantesque et efficace appareil de répression sociale préventive que la police politique a mis en place à Cuba durant les six dernières décennies, où toute expression sociale à peine autonome des institutions étatiques a presque toujours été dissoute et réprimée méthodiquement.
Dans ce contexte, un petit groupe de personnes ayant des intentions anti-autoritaires a créé en 2006 le Réseau d’Observatoire Critique de Cuba, un espace qui est devenu une coordination et assemblée de projets autogérés, où ont collaboré près d’une dizaine d’initiatives dans des domaines tels que l’éducation anti-autoritaire (Proyecto El Trencito), l’apprentissage autodidacte (la Escuelita), l’histoire intellectuelle des théories de libération (Cátedra Haydee Santamaría), l’activisme écologiste (Collectif Gardes-forestiers, l’initiative écologiste La Rueda), les dissidences sexuelles (Collectif Arc-en-ciel), l’activisme antiraciste et la mémoire afro-descendante (Confrérie de la Noirceur, la fraternité poétique performative Chekendeke, l’Alliance Antiraciste Anamuto, l’initiative autonome Coin de la décolonisation de la mémoire historique populaire cubaine 27 novembre), le laboratoire de propositions pour le renouveau socialiste à Cuba Socialisme Participatif et Démocratique (groupe SPD), puis les initiatives anarchistes Atelier Libertaire Alfredo López, l’Emplacement Cristo Salvador et l’initiative éditoriale Almario.
L’Atelier Libertaire Alfredo López, le Collectif Garde-Forestier, et l’Emplacement Cristo Salvador sommes ceux qui, dans un contexte de déclin des initiatives autonomes, avons développé les Journées du Printemps Libertaires de La Havane, commencées en 2013, et qui se sont déroulées presque sans interruption jusque récemment en juin 2024, qui n’ont finalement eu pratiquement aucune activité. Pendant ce temps, nous avons développé un grand nombre d’activités dans des espaces familiaux et publics (affinitaires et en conflit). Nous avons fondé le petit mensuel Tierra Nueva. Espace d’intéraction de personnes et d’idées anarchistes, le label éditorial Guillotina Inútil, nous contribuons à lancer la première revue écologiste autonome à Cuba Guardabosque, le magazine Almario et sous un esprit commun Carne Negra. Fanzine sur les arts visuels.
Nous avons repositionné une perspective anarchiste dans le débat public d’idées à Cuba et repeuplé avec des dates oubliées les calendriers de faits historiques à Cuba dominés par les staliniens, libéraux, trotskystes et sociaux-démocrates. Nous avons réussi après un demi-siècle à retrouver la présence dans les prestigieux espaces anarchistes internationaux comme la Foire des Vidéos et Revues Anarchistes de Caracas, la Foire du Livre Anarchiste de Londres, plusieurs congrès de l’IFA (Internationale des Fédérations Anarchistes), nous recevons des invitations ou coordonnons des rencontres avec des fédérations et initiatives anarchistes au Venezuela, République Dominicaine, Colombie, Brésil, Mexique, Espagne, France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, République Tchèque, Slovaquie. En 2018, grâce à la visibilité internationale que nous avons acquise dans les médias anarchistes du monde, nous avons clôturé une campagne de levée de fonds qui nous a permis d’acheter un espace à La Havane et de fonder ABRA, le premier centre social anarchiste à Cuba, après plus d’un siècle d’absence à Cuba, et en 2016 nous nous sommes lancés à donner une impulsion à la création de la Fédération Anarchiste d’Amérique Centrale et des Caraïbes (FACC), qui tente actuellement de survivre de façon minimale comme un espace de communication et de coordination intermittent entre compagnon-nes de la région.
2019 est l’année de début de la paralysie en cours qui conduit à la crise des Journées du Printemps Libertaire 2024 et du reste des espaces que nous avons impulsé en 2013. Cela s’est produit au milieu d’une situation matérielle marquée par les effets mondiaux de la pandémie de COVID-19, dans lequel ils ont démantelé de nombreux espaces de coordination des initiatives sociales autonomes, mais aussi pour tout ce qui est venu après le début de la pandémie à Cuba : l’extinction du système de transport public dans le pays, la précarisation collective des salaires par l’inflation galopante et hors de contrôle, l’effondrement des systèmes d’approvisionnement alimentaire et du système électrique national, l’exode massif de plus d’un million de personnes en moins de deux ans, le vieillissement précaire de nos parents, avec des pensions de misère et sans couverture de médicaments pour nos malades, la liquidation par le gouvernement du système de santé publique à Cuba, en donnant la priorité aux investissements immobiliers et hôteliers, qui nous a condamnés à une vie de privations renforcées, dont le but est de survivre. Une survie sous surveillance policière renforcée et une légalité plus arbitraire, après les journées historiques de manifestations massives des 11-13 juillet 2021, contre la précarité et le despotisme gouvernemental qui ont laissé un bilan de plus de 1000 prisonnier-es politiques, soumis-es à de longues peines et à des conditions de vie carcérale déplorables, avec pour le seul crime d’exercer le droit et le devoir de protester contre la misère généralisée, sans perspective de solution gouvernementale.
La petite quatrième génération d’anarchistes à Cuba vit, comme le reste de la société cubaine, la longue agonie de la soi-disant Révolution cubaine, dévorée par l' »État socialiste » née de celle-ci et qui a donné naissance à une oligarchie militaire-patronale, ancrée dans le puissant oligopole cubain G.A.E.S.A. (Grupo de Apoyo Empresarial S.A.), qui gère des fonds et des investissements millionnaires à Cuba et en dehors de Cuba, un contrôle mafieux du tissu productif étatique en déclin, de l’industrie hôtelière, de l’exportation de services médicaux dans des conditions de semi-esclavage pour les travailleur-euses et les professionnel-les de la santé impliqué-es ; une administration également mafieuse sur l’utilisation des envois de fonds considérables que l’émigration cubaine envoie chaque année à sa famille, dans des sur les conditions d’enlèvement à Cuba et autres affaires dissimulées, à partir desquels cette oligarchie exploite la société cubaine elle-même et ses capacités comme un territoire colonial annexé,et finance avec succès un appareil répressif policier et carcéral imposant, avec une population criminelle gigantesque et non quantifiée, ce qui leur permet de gérer le délabrement social en cours sans grandes doses de violence explicite, comme un véritable État dans l’État cubain.
En même temps qu’ils s’enfoncent comme des parasites dans le corps social du pays, cette oligarchie au niveau international clame chaque année à l’ONU son mantra préféré : « la levée immédiate et inconditionnelle du blocus inhumain des États-Unis contre Cuba » comme « le problème le plus important qui afflige la Révolution cubaine », qui n’est rien d’autre que la sortie de luxe à laquelle aspirent ces oligarques, qui leur permettrait de se stabiliser pour encore quelques décennies en tant que groupe dominant à Cuba, comme les administrateurs et bénéficiaires directs du rétablissement d’une relation néocoloniale avec les Etats-Unis, relation qu’ils ont eux-mêmes brisée en 1960-61, alors qu’ils regrettent maintenant d’avoir fondé « le premier territoire libre de l’Amérique », sous les impulsions irréfléchies anti-yankees du fondateur de la dynastie castriste actuelle. Surmonter ce moment de débordement anti-impérialisme autoritaire et militariste de l’oligarchie castriste,leur permettrait de protéger leur domination sur Cuba, sous le protectorat yankee, et de s’asseoir à la table avec eux, avant que ne le fasse la bourgeoisie cubaine de Floride, comme l’ont fait les cochons de la Ferme Manor avec les humains qu’ils ont chassés, avec sa révolution animale victorieuse, dans le chef-d’œuvre de George Orwell.
Sur aucune des questions posées ci-dessus, les anarchistes à Cuba n’ont la moindre chance de définir quoique ce soit. Dans nos mains nous avons seulement des outils maigres mais essentiels : exercer et diffuser le désir de l’auto-organisation, l’entraide et la libre initiative de base dans tous les sujets de la vie quotidienne, éroder et dénaturer les logiques autoritaires internalisées, même parmi ceux qui combattent le despotisme gouvernemental, bannir le besoin de nouveaux commandants en chefs humanistes de nos vies et prendre en charge, entre personnes égales et ayant des affinités, notre propre existence précaire, la solidarité et, sans orgueil doctrinal, l’attention aux terrains, thématiques et espaces où surgit le besoin ressenti de l’organisation de base et de l’assemblée entre personnes égales, pour apporter nos propositions et nos idées. Partout, la tension anarchiste nous traverse toustes et n’est pas le monopole de celleux qui se définissent comme anarchistes.
L’effondrement de l’État kafkaïen monumental qui s’est élevé à Cuba, prétendument pour protéger la Révolution cubaine, fait partie d’une crise mondiale en cours et nous savons que ce ne sera pas un fait automatiquement libérateur. Elle dépendra des volontés, des désirs et des capacités d’organisation des communautés et des peuples qui composent Cuba et le monde. Les trois générations d’anarchistes à Cuba qui nous ont précédé-es ont été là, et nous serons là nous aussi.
Pueblo organizado, Matrias sin Estados (Peuple organisé, Matrie sans État)