Initialement publié par mtlcontreinfo.org le 01/08/2024
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le 19 juillet, lors d’une nuit calme, plus de 60 personnes se sont rassemblées au centre-ville de Montréal afin de manifester pour la Palestine. La manifestation a été annoncée sans l’aide des médias sociaux, de sorte qu’aucune présence policière n’était visible sur le lieu du rassemblement. Le récit qui suit provient de quelques participant-es à la manifestation. Nous espérons faire comprendre à celleux qui n’étaient pas là ce qui s’est passé et faire quelques suggestions pour la prochaine fois.
Vers 22 heures, la manifestation s’est mise en marche, une bannière annonçant « L’espoir c’est la lutte » à côté d’un cercle A, et une bannière indiquant « Libération des peuples, libération de la terre » en queue de cortège. Serpentant dans les rues sous les gratte-ciel et les slogans, l’énergie de la foule augmentait progressivement à mesure que nous nous acclimations à l’étrange réalité : pas de flics à vélo, pas de flics anti-émeute, pas de flics devant, derrière ou sur les côtés, juste nous et nos ami.e.s et camarades, et leurs ami.e.s et camarades, et les leurs, notre black bloc et keffiyeh bloc nous protégeant de la centaine de caméras de surveillance enregistreant inlassablement notre déambulation.
La manifestation a duré seize minutes. Des feux d’artifice ont été allumés à l’arrivée au Square Victoria, où se trouvait le camp Al-Soumoud, démantelé deux semaines auparavant. Les manifestant.e.s ont rapidement commencé à briser les vitrines des banques, ciblant une CIBC et une Banque Scotia. Dans le sens inverse de la circulation sur Saint-Jacques, nous avons été accueillis avec enthousiasme par les fêtards du vendredi soir, qui sont descendus dans la rue pour applaudir, et par les automobilistes qui ont baissé leur vitre pour féliciter les militant.e.s vêtus de noir. Certains passants ont commencé à suivre la manifestation avec enthousiasme alors qu’elle se dirigeait vers la Caisse de Dépôt et Placement du Québec (CDPQ). La CDPQ, qui avait été pointée du doigt par le camp Al-Soumoud un peu plus tôt, a investi 14 milliards de dollars dans des entreprises complices du génocide en Palestine. Bien que ses fenêtres semblaient difficiles à briser, plusieurs d’entre elles ont été graffés, d’autres ont volé en éclats et un fumigène a été lancé par une ouverture dans un espace de bureau, déclenchant avec un peu de chance les gicleurs et causant des dégâts d’eau.
Les sirènes de police sont visibles et entendues de plusieurs directions, mais avant que les commandants du SPVM ne comprennent ce qui se passe, la foule se disperse et disparaît dans la nuit. Il n’y a eu aucune arrestation et personne n’a été blessé.
Alors que les médias de masse ont ignoré la manifestation, des vidéos montrant la marche et les actions directes ont circulé largement sur les médias sociaux, y compris sur un compte en langue arabe avec des centaines de milliers d’abonnés.
La lutte locale en solidarité avec la Palestine a vu une grande variété de tactiques testées en peu de temps au cours des neuf derniers mois. Les manifestations nocturnes organisées sans inviter la police sont une nouveauté dans ce contexte. Nous pourrions envisager d’en faire plus souvent.
Une semaine plus tôt, le 12 juillet, le SPVM a envoyé des policiers anti-émeute pour encadrer les deux côtés d’une petite manifestation nocturne annoncée sur les médias sociaux suite au démantèlement du camp de McGill. Les policiers sont entrés dans la rue le long de la marche et ont préventivement attaqué une bannière de côté, arrachant la bannière des mains des gens, distribuant des coups de matraques et déployant d’énormes quantités de poivre de cayenne. La ténacité de la foule était impressionnante, mais il n’a pas été possible de surmonter ce degré de violence policière et de commencer à transformer la manif en quelque chose de plus grand. Un rôle que peut jouer une manif de nuit sans police est de répondre à de tels événements, en soignant nos esprits militants et en réparant notre confiance, tout en démontrant que le SPVM met ses unités en danger pour rien en intimidant et en réprimant brutalement les manifs, car nos cibles se feront fracasser de toute façon.
Nous souhaitons également réfléchir à la manière dont les différentes formes de manifestations permettent plus ou moins d’aller au-delà de nos réseaux existants. Ce qui est frappant dans les interactions avec les passants enthousiastes le 19 juillet, c’est que la présence policière imposante habituelle lors d’une manifestation combative aurait rendu ces interactions impossibles. La police qui contrôle la circulation redirige généralement tous les véhicules loin d’une marche, et l’ampleur et l’agressivité des unités de police de tous les côtés d’une manifestation sont extrêmement intimidantes, limitant les possibilités d’action dans l’esprit des personnes à l’extérieur – et objectivement. Aucun civil non préparé et sain d’esprit n’essaierait de se joindre à nous. Sans la séparation imposée par la police, nous pouvons imaginer faire davantage à l’avenir pour permettre aux passants volontaires de se joindre à nous et prendre la rue. Il pourrait s’agir d’apporter une réserve de masques à distribuer, de les inviter explicitement à rejoindre la manif et de partager rapidement toute information importante en matière de sécurité de façon amicale avec les personnes qui se joignent à nous.
Un certain nombre de fenêtres sur le parcours de la manif ont malheureusement résisté aux coups de marteau et de roches. Cela soulève la question des outils. Les morceaux de porcelaine comme projectiles sont plus efficaces pour briser les fenêtres que les marteaux ou les roches. Ils sont également plus difficiles à trouver (demandez à un camarade), et il faut faire plus attention en les lançant pour éviter de blesser quelqu’un. À l’avenir, les « équipes marteau » pourraient peut-être faire la première tentative et, si la cible s’avère trop difficile, la confier à une « équipe porcelaine ».
L’enthousiasme suscité par cette nouvelle tactique montre que la communauté est à la recherche d’un nouveau format pour les manifestations. Au-delà des vitrines brisées, l’exploration de ce que les groupes autonomes peuvent faire dans les manifs sans la police laisse entrevoir de nouveaux horizons. Nous pouvons tester de nouvelles tactiques et des mélanges d’anciennes, ou même les délais de réponse de la police dans différentes zones stratégiques de la ville. Nous pouvons également améliorer notre rapidité et notre aisance à employer différentes tactiques afin de ne pas tenter des choses pour la première fois avec des flics dans le dos.
Avec les défis de ces derniers mois dans les manifestations annoncées sur les réseaux sociaux, même dans les contingents, peut-être que ce nouveau format peut aussi être vu comme une stratégie de mobilisation. Si nous jouons bien nos cartes, nous pouvons l’utiliser pour parler au public, en diffusant des idées et des pratiques anarchistes, de sorte que lorsque nous nous présentons en tant que contingent dans une manifestation publique, nos orientations sont connues de celleux qui nous entourent, qui pourraient être plus encouragé.e.s à nous rejoindre dans les actions. Avec un peu de chance, cela nous permettra de trouver un équilibre, d’être prêt.e.s à augmenter les enjeux et à être stratégiques dans la mise en œuvre d’un plan réussi, ainsi que d’être prêt.e.s à répondre de manière combative à la violence policière dans les grandes manifestations publiques aux côtés de centaines ou de milliers d’autres personnes.
Le vendredi a permis de remonter notre moral, de renforcer la confiance et de consolider nos liens de complicité. Nous devons trouver des occasions de remporter des victoires, même minimes, et les célébrer. La même tactique peut être utilisée à des moments stratégiques tels qu’un événement majeur dans la ville, pour atteindre des objectifs stratégiques à court terme, ou en réponse à une répression policière importante.