Initialement publié sur trognon.info le 01/08/2025
« Pensons à la destruction définitive du travail, la démolition de tout ce qui existe, l’effondrement complet de la civilisation. Marchons sans dévier vers ce but. Le savoir-faire du feu est un pari tentant qui encourage nos désirs de libération totale et stimule l’affrontement. Aujourd’hui, la seule chose qu’il y a à sauver est le feu. Le reste : qu’il soit réduit en cendres ! »
– Gustavo Rodriguez
A l’évidence, le mouvement de lutte sociale des gilets jaunes renait et n’est pas insuflé que par des gens très animés de progressisme. A première vue, qu’il apparaisse comme un repoussoir est plutôt une réaction de bon sens. Justifier de s’ébrouer au milieu de fascistes comme si de rien n’était, sous le prétexte de faire peuple- mot valise d’une construction sociale qui masque les dissensions réelles entre individus- n’est pas un signe de grande fiabilité politique.
Mais qu’est-ce que la gauche dite radicale, a retenu du précèdent mouvement des gilets jaunes ?
Il semblerait que ce ne soit pas grand chose du coté des organisations syndicales. Dès que cela sort du cadre d’une kermesse avec services d’ordre à l’appui, la spontanéité les perd.
Quant aux partis politiques, les trotskystes, toujours prompts à taper dans toutes les gamelles, se positionnent déjà pour faire de l’entrisme dans ce mouvement, en prônant leur désir de capitalisme d’Etat.
L’Union des Communistes Libertaires leur emboite le pas, dans une coalition sur le blog « faire bloc, faire peuple » ; peut-être finiront-ils par comprendre un jour qu’ils ne sont que des trotskystes qui s’ignorent. Comme quoi, la confusion ne se retrouve pas exclusivement dans des esprits dépolitisés.
Cette coalition promeut des vidéos de leurs interventions à un meeting politique dénommé par un clin d’oeil à Lénine : « Que faire ? », sur la chaine youtube « Paroles d’honneur » d’un disciple d’Houria Bouteldja. « Paroles d’Horreurs » serait donc beaucoup plus approprié sur le fond idéologique de cette tendance.
Cela vend du rêve de les voir tous prêts à en découdre face à un Etat autoritaire, comme si un Etat pouvait être tout autre chose. Et comme si leur doctrine teintée de léninisme pouvait être foncièrement anti-autoritaire.
A n’en pas douter, bientôt se joindra à tout ce beau petit monde, une autre secte politique socio-démocrate : celle de Mélenchon. Les partisans de ce dernier ne manqueront pas de vouloir phagocyter ce mouvement au bénéfice de leur grand timonier si charismatique à leurs yeux. La fameuse gauche de rupture ! ( hormis la rupture avec le capitalisme, le souverainisme, le système carcéral, le racisme des Centres de Rétentions Administatives, la justice de classe, la répression, l’armée, etc..).
Pourtant, il semble bien clair que la volonté des gilets jaunes depuis leurs débuts était de s’éloigner des sectes politiques et des leaders, pour être autonomes et s’éviter de quelconques récupérations.
Aux débuts des gilets jaunes, les mots d’ordres étaient clairement poujadistes et il y avait beaucoup de confusionnisme politique. Un reflet de la société consummériste et droitisée. Ils portaient une critique des syndicats, mais avec des arguments pro-patronaux.
Par la suite, la critique des syndicats s’est développée avec des arguments plus proches de nos idées antitravaillistes.
En effet, quiconque a travaillé dans une grosse entreprise (même sans être extrêmement politisé) a pu constater que les syndicats sont rarement moteurs de revendications radicales. Il n’est pas dans l’essence des syndicats de mener des actions intransigeantes face à leurs directions d’entreprises ou plus largement dans leurs branches respectives.
Il n’est pas difficile pour un travailleur de constater qu’un délégué syndical a beaucoup d’avantages et de privilèges conférés par son mandat : rallonges de salaire annuel ( en plus des augmentations générales et des primes s’il y en a), protection face au licenciement de par son statut, flexibilité du temps de présence dans l’entreprise, etc…
La seule chance de voir un délégué syndical se salir les mains au sens propre, aussi sympathique soit-il à la machine à café, c’est de le voir trébucher par terre. Au figuré, il est alors inimagineable de le voir mordre la main qui le nourrit. Au mieux, il ne laissera que quelques miettes à ses disciples.
Au niveau national, il suffit de voir le fiasco prémédité des grèves perlées face à la dernière réforme des retraites, toutes calées sur le calendrier parlementaire. Pourtant, il y avait un très fort consensus au sein de toute la population, ce qui aurait pu être le prémice d’une grève générale, mot d’ordre si cher aux anarco-syndicalistes qui se retrouvent désarmés face à la stratégie des grandes centrales syndicales.
Emile Pouget l’avait très tôt théorisé : le rapprochement des syndicats et des partis politiques, plutot que de défendre les intérets des travailleurs, finit toujours par servir les politiciens et leurs visés électoralistes. Pouget pensait que les syndicats devaient se concentrer sur les intérêts des travailleurs et non sur des accords avec les patrons ou les gouvernants. Peut-être aurait-il été un peu dubitatif à rejoindre un mouvement comme les gilets jaunes, mais ce n’est pas la méfiance des syndicats d’un mouvement se voulant autonome qui l’en aurait dégouté.
La CGT d’aujourd’hui respecte bien plus la loi de 1884, loi Waldeck Rousseau -individu si subversif qu’on donne même son nom à des commissariats- que la charte d’Amiens. Cette loi conçoit les syndicats comme des éléments de tempérance des conflits sociaux, permettant d’encadrer les grèves en les pacifiant, et sont des structures de la régulation sociale.
On est donc bien loin de la charte d’Amiens, que la CGT avait pourtant signée en 1906. Cette charte assignait au syndicalisme un double objectif et une exigence : la défense des revendications immédiates et quotidiennes des travailleurs, et la lutte pour une transformation d’ensemble de la société par l’expropriation des capitalistes, en toute indépendance des partis politiques et de l’État.
Difficile donc pour des anarchistes, de porter à charge contre le mouvement du 10 septembre la revendication de vouloir se passer des syndicats réformistes et du racket des partis politiques.
Quant à défendre de meilleures conditions de travail ou les retraites, nous préfèrons souffler du napalm sur ces braises, et que les personnes prennent conscience de leur esclavage salarial. Sur cette ligne de pensée, il serait malvenu de nous accuser de poujadisme ou même d’ouvrierisme.
Dans les différents appels pour le 10 septembre 2025, il n’existe aucune critique sérieuse de l’Etat, du fascisme, des racismes, du patriarcat, du système techno-industriel, du capacitisme, et de toutes les autres discriminations. Mais certains gilets jaunes ont évolué en ce sens sur ces questions, lors du précédent mouvement, en étant confrontés à des idées révolutionnaires. C’est par l’échange dans les discussions que l’on se forme. Et par endroits, ces thématiques ont fait émerger de puissantes pratiques de solidarité.
C’est dans la confrontation directe avec nos semblables que nous faisons avancer nos idées, que ce soit dans un bar ou au milieu d’un rassemblement. N’en déplaise aux militants virtuels, concentrés sur leur petite bulle idéologique, intoxiqués par la dopamine provoquée par la validation de leur communauté.
Car la stratégie du militantisme numérique sur les réseaux associaux est inefficace. Elle peut au mieux donner des rendez-vous sur le terrain. Les échanges sont trop courts, et ne reposent que sur des batailles d’égos. Convaincre ne se fait que par la puissance conférée par la taille d’ une communauté. Cet argument d’autorité soumet tout individu à son dogmatisme, ou l’affiche comme un pestiféré. Les idées peuvent parfois être non dénuées de sens ou d’intéret.
Mais pour faire évoluer une mentalité, la confondre en direct est plus efficace. Il est possible, par exemple dans le mouvement du 10 septembre avec des sympathisants d’extrême droite, de leur demander comment ils vivent leur opposition au gouvernement. Tout en ayant leur parti politique qui valide toutes les lois de casse social produites récemment par leur soit-disant ennemi. Là, la dissonance cognitive peut commencer. Et rien n’empêche par la suite d’embrayer sur une misère intellectuelle comme le racisme, qui est un système au service de la bourgeoisie et du patronat. C’est une technique éprouvée personnellement et qui porte très bien ses fruits, ou à défaut on peut l’espérer, qui éloignera du mouvements certains bas du front.
D’ailleurs dans l’évolution du mouvement des gilets jaunes, l’extrême droite l’a progressivement délaissé. Le progressisme a pris plus de place, et même si ce n’est pas révolutionnaire, c’est toujours mieux que des idées réactionnaires.
Le coté insurrectionnel des gilets jaunes était certe très plaisant. Mais il est amer de constater que toute sa puissance destructrice dans les beaux quartiers parisiens lui était bien souvent conférée par la présence de néo-nazis aguerris.
Alors, n’en déplaise aux grands théoriciens appélistes producteurs de diarrhées verbales, on va plutôt miser sur la diffusion de propagande radicalement anarchiste, plutôt que de laisser une insurrection gangrénée par des idées réactionnaires partir à l’assaut de l’Elysée. Cela ne fera pas augmenter les ventes de leur oeuvre phare d’onanisme intellectuel, d’une lourdeur plombée d’un vide théorique abyssal. Mais au moins, sans fondations pourries , il est plus envisageable de bâtir par la suite de grandes et solides choses.
Que les appélistes restent à attendre leur insurection, qui si elle arrive, finira pervertie dans un citoyennisme gazeux comme ca s’est passé a la fin de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, ou dans leur parti plus si imaginaire que ça des Soulèvement de la Terre, lui aussi agrégé à la coalition « faire bloc, faire peuple ».
Nous ne cesseront jamais de dénoncer leurs violences physiques et leurs prises de pouvoir par la mise en place d’un système autoritaire et manipulatoire sur la ZAD. Nous ne sommes pas des « puristes » comme ils aiment qualifier leurs adversaires, mais plutôt des allergiques à la médiocrité contre-révolutionnaire. Loin de nous l’idée d’amalgamer à leurs stratégies et pratiques crasseuses l’aveuglement de simples sympathisants sincères et malheureusement candides : toutes celles et ceux qui mettent leur espoir dans un changement, dans la seule force qui apparait pour le moment lutter contre l’écocide en cours. Nous ne pouvons pas leur en vouloir, seuls les chefs de ce mouvement sont méprisables à nos yeux.
C’est vrai que dans l’ appel du 10 septembre prochain, le mot « apolitique » pose question. Sans doute marque t-il maladroitement une envie d’autonomie vis-à-vis des partis politiques, mais pour nous le « ni de gauche, ni de droite » est une base qui ne manque pas d’intéret et que l’on peut développer sous le prisme de nos positions :
Le capitalisme a pour chaque camp jusque dans ses extrêmes, des gestionnaires désirant s’accaparer le pouvoir : d’un coté il y a la droite du capital et de l’autre la gauche du capital. Le « ni de gauche, ni de droite » signifie pour nous, que les deux camps méritent d’être combattus. Notre anticapitalisme ne conçoit pas une égale répartition des richesses comme finalité, les racines du mal sont la recherche du profit qui génère oppressions et ségrégations. Pour aller au delà de ses racines et jusqu’à leur arrachement, c’est l’idée même de richesse matérielle qu’il faut détruire. Sur ce point, on pourra difficilement nous taxer de défendre des revendications comme le pouvoir d’achat.
Certains détracteurs de notre démarche nous accuserons de donner de la force à l’extrême droite. A cela, notre réponse est simple : compte tenu de l’atmosphère actuelle saturée par le fascisme, c’est surtout l’inaction à les combattre qui leur donne de la force. Alors on va les affronter avec les moyens que nous jugeront les plus pertinents. La question n’est pas de savoir si le choc va avoir lieu, mais quand ?
Plus ils avancent dans la conquéte du pouvoir, moins il y a de possibilités de les faire reculer. Prendre la rue est une option de conflit de basse intensité qu’il est encore possible et necessaire de saisir. Mais quand l’extrême droite sera officiellement à la tête de l’Etat, Il sera trop tard pour çà : la lutte devra être portée à un plus haut degré d’intensité, sans pour autant avoir de chance de succès, même avec des moyens comme la lutte armée.
En tant qu’anarchistes, nous sommes déjà suffisament irrécupérables par nos positions sur de nombreux points, par des esprits pourtant proches se disant libertaires ou de gauche. Alors, pour ce qui est de l’extrême-droite dont nous pourrions, selon certains, devenir les idiots utiles, nous ne sommes pas adeptes des postures mais plutôt du sabotage de manière générale.
Ce texte ne compte pas devenir un appel pour rejoindre le mouvement du 10 septembre, l’idée d’apparaitre auprès de nos compas pour de prétendus guides nous fait horreur autant que celle d’en suivre. Nous tentons juste d’expliquer ce qui nous motive à nous confronter à cette foire d’empoigne. Une révolution n’est pas prête d’arriver, mais en pratique l’anarchie peut déjà régner dans des mains actives. L’inaction ne sera jamais pour nous une option envisageable.
Nous ne tenons pas à ce que ce texte soit repris sur les réseaux associaux dont nous ne sommes pas consommateurs : ces plateformes nous apparaissent participer très clairement à la confusion, notamment entre l’anarchie et le réformisme.
De nombreux points mériteraient d’être évoqués et d’autres développés plus longuement. Mais il est plus interressant pour nous d’aller les confronter directement les yeux dans les yeux avec des personnes révoltées. Dans cette guerre de classe, comment chercher à être ailleurs qu’aux côtés des exploités qui relèvent la tête ? De combattre de manière directe toutes les discriminations qui gangrènent notre classe et qui servent les intérets des dominants ?
Car la théorie sans pratique n’est qu’un gargarisme d’impuissance. Quant à la pratique sans théorie, son aveuglement est inefficace pour briser les chaines durablement.
Il n’y a pas d’espoir de voir un grand changement, et même si une révolution advenait, elle serait comme toujours accaparée par des bureaucrates. Alors notre idée va bien au-delà de vouloir gagner ou de perdre dans cette confrontation qui s’annonce.
Tout ce qui compte pour nous, c’est le combat contre l’autorité sous toutes ses formes.
Et pour rassurer celles et ceux qui ne se sentent pas légitimes à porter des idées anti-autoritaires dans un quelconque mouvement, dites-vous juste que si l’autorité vous fait l’effet du feu sur la peau, alors vous en savez déjà beaucoup et votre instinct ne vous laissera pas vous perdre.
Qu’importe ce que pensent de nos engagements les juges moralisateurs virtuels. Ces faux rebelles ne sont de fait que de bons petits soldats du capital. La lutte n’est pas un mode de vie qui fait du « like », la lutte est d’abord et toujours une tension directe contre ce qui nous opprime pour une question de survie.
Quelque part nous serons ensemble : contre le fascisme brun, contre le fascisme rouge et aussi contre le régime bourgeois qui n’est qu’un fascisme déguisé au travers de la démocratie.
Pour l’anarchie et pour toujours contre le Léviathan
Des ombres