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[Brochure] Vive la génération Zbeul ! A propos des récentes émeutes au Maroc vues depuis un coin de la France

Posted on 06/12/2025 - 03/12/2025 by dingueries

Initialement publié sur Indymedia Lille, le 01/12/2025.

PDF – floroc

En France l’expression « zbeuler » est désormais généralisée, en particulier parmi toutes celles et ceux qui cherchent à rompre la normalité, celle de l’exploitation au travail, de l’autorité des flics, du patriarcat, etc… Zbeuler c’est désordonner un état de fait que les riches et les puissant.e.s cherchent à imposer aux autres. Linguistiquement l’expression tire son origine du mot arabe « zbel » qui signifie la poubelle, les ordures, et par extension tout ce qui doit être jeter ou éliminer. Au Maroc, ce terme peut vite prendre une connotation sociale, du fait notamment de la popularisation d’un personnage de dessin animé dénommé « Bouzebal ». Littéralement « homme-poubelle », Bouzebal est un jeune galérien de banlieue dont l’ennemi juré est « Kilimini » (contraction phonétique du français « qu’il est mignon » en darija marocaine), un fils de riche incarnant la jeunesse dorée partie étudier à l’étranger et qui parle bien français. Lors des nuits du 30 septembre au 2 octobre dernier près d’une trentaine de villes marocaines, petites et grandes, ont été secouées par un gros zbeul qui semble en grande partie l’œuvre de « bouzebals » comme diraient certain.e.s par mépris de classe, et d’autres en signe de familiarité. Dans tous les cas, bouzebals ou pas, en prenant d’assaut des commissariats et saccageant des banques, tous ces révolté.e.s ont défié l’autorité avec une intensité rarement vue ces derniers temps au Maroc.

Ces deux nuits d’émeutes font suite à une série de rassemblements à travers le pays, à commencer par celui tenu devant l’hôpital Hassan II d’Agadir le 14 septembre, dénonçant l’état déplorable de l’établissement où huit femmes enceintes sont décédées lors du mois d’août après des césariennes. Une semaine plus tard deux autres rassemblements sont organisés à Tiznit et Essaouira, deux villes proches d’Agadir, lors desquels une dizaine de manifestant.e.s sont interpellé.e.s et relâché.e.s. Puis, sur le réseau social Discord, un collectif se présentant hors de partis ou syndicats, nommé « GenZ212 », en référence à la génération Z née entre 1995 et 2010 et à l’indicatif téléphonique national, appelle à se rassembler pacifiquement le samedi 27 septembre dans plus d’une dizaine de grandes villes du pays, pour exiger des réformes de la santé et de l’éducation et contre la corruption, « par amour de la patrie et du roi ».

A Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech, Agadir, Meknès, des centaines de personnes se retrouvent dans les rues en criant des slogans comme « Liberté, dignité, justice sociale » et appelant à des réformes. Très vite les flics mettent fin aux rassemblements en nassant les manifestant.e.s et en faisant des dizaines d’interpellations dont 70 rien qu’à Rabat, au motif que les manifs n’étaient pas autorisées. Dans la plupart des cas il s’agit de simples vérifications d’identité et les interpellé.e.s sont libéré.e.s sans poursuites judiciaires.

Le lendemain le collectif renouvelle l’appel et, malgré les nombreuses arrestations de la veille, de nouveaux rassemblements ont lieu dans les grandes villes et d’autres plus petites comme Safi ou Tinghir. A Casablanca, des manifestant.e.s envahissent même une autoroute urbaine et 24 personnes sont interpellées pour entrave à la circulation.

Dans la nuit du 29 au 30 des centaines de personnes bravent une fois de plus l’interdiction de manifester quitte à se faire interpeller. Ce soir-là les flics empêchent tout rassemblement à Casablanca et font une cinquantaine d’arrestations à Rabat ainsi qu’une soixantaine à Marrakech. Dans cette ville rongée par l’industrie du tourisme, des manifestant.e.s déterminé.e.s se sont élancé.e.s en manif sauvage en criant « Le peuple veut la fin de la corruption », principal mot d’ordre du mouvement, mais aussi « Vive le peuple », un slogan qui, dans cette société vivant sous le joug d’une monarchie détenant tous les pouvoirs, sonne comme une manière subversive de détourner le sempiternel « Vive le roi ».

Deux nuits de zbeul généralisé

Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre le mouvement prend des formes émeutières spontanées qui débordent complètement les appels du collectif GenZ212 dans une vingtaine de villes, souvent en périphérie des grandes agglomérations mais aussi dans de petites villes plus isolées. A Nador, Errachidia, Berkane, Béni Mellal, Tiznit, Kénitra, Khénifra, Guelmim, Rabat, Meknès, Ouarzazate, Casablanca, Fès, Agadir, Témara, Skhirat, des manifs sauvages parcourent les rues et souvent les forces auxiliaires (flics anti-émeutes) se prennent des jets de pierre bien mérités.

Ailleurs la révolte prend une tournure plus compliquée pour les autorités qui doivent faire face à des centaines d’émeutier.e.s. A Inezgane, en banlieue d’Agadir, trois caisses de flics sont défoncées, une agence d’assurance et trois banques sont attaquées, une agence de la poste du Maroc est incendiée, un supermarché Marjane est éventré et des bijouteries sont pillées. A Ait Amira, une petite ville de 50 000 habitants au sud d’Agadir, la gendarmerie royale perd 12 bagnoles dont certaines sont complètement incendiées, et plusieurs banques sont défoncées dans une liesse collective.

A l’autre bout du pays, dans la ville d’Oujda, les flics se font copieusement caillassés, mais ces ordures tentent de reprendre le contrôle en fonçant dans la foule avec leurs camions, causant au moins un blessé grave qui a perdu une jambe. Au total, pour cette seule nuit du 30 au 1er, les autorités annoncent que 142 voitures de police auraient subi des dégâts.

Dans la nuit du 1er au 2 octobre, alors que le ministère de l’intérieur finit par autoriser les sit-in appelés par le collectif GenZ212, des émeutier.e.s attaquent l’autorité et le capital là où ils se trouvent, souvent bien loin des lieux officiels de rassemblement. La révolte gagne de nouvelles villes avec une intensité plus forte que la nuit précédente.

A Salé, ville pauvre qui jouxte Rabat la capitale, après des affrontements avec les keufs, deux caisses de la sûreté nationale y finissent calcinées, une banque est cramée dans le quartier Al Amal, plusieurs autres perdent leur vitrine ainsi que deux agences de transfert, puis la devanture d’un supermarché Carrefour est défoncée sur la route de Kénitra.

A Marrakech, alors qu’une marche prend forme dans les rues du centre, à l’autre bout de la ville les forces auxiliaires perdent le contrôle du quartier Sidi Youssef Ben Ali, par ailleurs connu pour avoir été un foyer d’insurrection contre les autorités coloniales françaises dans les années 50. Environ 200 personnes, majoritairement très jeunes, arrosent de pierres et de bouteilles les forces auxiliaires postées à l’entrée du quartier. Le comico du coin est ensuite incendié, une banque pillée, deux agences de transfert saccagées. Il faudra toute la nuit aux flics pour reprendre le contrôle de la zone.

A Tamansourt, une bourgade à quelques kilomètres au Nord de Marrakech, la gendarmerie est incendiée. Plus loin sur la côte atlantique, à El Jadida, une manif sauvage met le zbeul sur la corniche, notamment en cassant des voitures. A Taroudant, des manifestant.e.s attaquent la préfecture et commencent à incendier la porte du bâtiment. A Kelaat M’Gouna, petite ville plus isolée au Sud des montagnes du Haut Atlas, il y a aussi du grabuge dans les rues avec des incendies et de la casse.

Et puis, à Leqliaa, en banlieue Sud d’Agadir, un poste de la gendarmerie royale est attaqué par des dizaines de personnes. Les grilles de l’entrée sont arrachées, un 4×4 sorti, des motos brûlées, et le feu mis à plusieurs endroits du bâtiment. Des flics, en partie réfugiés à l’intérieur, finissent par tirer dans la foule à balles réelles, assassinant trois personnes et faisant plusieurs blessé.e.s. Le ministère de l’intérieur annonce que 3 policiers ont été grièvement blessés dans l’attaque.

La justice à plein régime pour enfermer à tour de bras…

Le 2 octobre, un communiqué signé au nom du collectif Genz212 rejette « toute forme de violence ou de vandalisme » et il est décidé, suite à un vote sur Discord auquel ont participé plus de 15 000 personnes, de continuer les rassemblements en les limitant à des horaires fixes de 17h à 20h, et en déplaçant les lieux de rendez-vous sur des grandes places plus éloignées des quartiers populaires « pour éviter de graves incidents avec les flics ». Une campagne de nettoyage des rues est même organisée le 6 octobre avec photos à l’appui. Après cet appel au calme, le collectif se désolidarise des émeutier.e.s dans une lettre adressée au roi. Le texte comprend huit revendications dont la principale est la démission du gouvernement d’Aziz Akhannouch, le premier ministre, tandis qu’une autre, un peu plus loin dans la liste, exige la libération et l’abandon des poursuites judiciaires pour tou.te.s les détenu.e.s lié.e.s aux protestations pacifiques, sauf « ceux dont l’implication dans des actes de sabotage ou d’agression de force de l’ordre a été prouvée »…

Le soir du 2 octobre, dans le quartier Sidi Youssef Ben Ali à Marrakech, nombreu.ses.x sont celleux qui ne voulaient pas s’arrêter malgré la répression. De nouveau les flics se sont fait caillasser, une banque a été saccagée et des commerces défoncés. On imagine qu’ailleurs aussi, parmi celles et ceux sorties dans les rues les soirs précédents, beaucoup n’avaient pas envie de rester sages. Il semble pourtant que la normalité ait repris le dessus à partir du 3 octobre, même si le collectif GenZ212 a continué d’appeler à se rassembler dans les grandes villes, réunissant quelques dizaines de manifestant.e.s à chaque endroit.

Au total, dans l’ensemble du pays, des milliers de personnes ont été arrêtées lors des rassemblements et émeutes, ainsi que les jours suivants à l’issue d’enquêtes, souvent sur la base de photos et vidéos circulant sur internet. A ce jour, plus de 2400 d’entre elles font l’objet de poursuites judiciaires, certaines ont déjà été condamnées à de très lourdes peines de prison, et des dizaines attendent toujours leur procès, soit en détention préventive, soit en liberté provisoire après paiement d’une caution qui atteint généralement 2000 à 5000 dirhams (200 à 500 euros).

Quelques dossiers et chiffres sortis dans la presse donnent une idée du carnage judiciaire en cours :
• A Salé, plusieurs condamnations de 15 à 20 ans de prison pour des « actes de vandalisme » sont déjà tombées et d’autres dossiers similaires sont toujours à l’instruction.
• A Agadir, le 14 octobre, 17 personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour des faits commis à Ait Amira dans la nuit du 1er au 2 octobre. Elles étaient poursuivies notamment pour « destruction de biens publics et privés », « vol en réunion », « incendies volontaires » et « violences contre les forces de l’ordre ». Deux ont été condamnées à 3 ans de prison ferme, un à 4 ans, un à 5 ans, 9 à 10 ans, un à 12 ans et 3 à 15 ans… Par ailleurs, le tribunal d’Agadir a condamné un homme à 4 ans de prison et 50 000 dirhams d’amende (environ 5000 euros) pour « incitation à commettre des délits via les réseaux sociaux ».
• À Tanger, environ 80 accusés, dont 30 mineurs, poursuivis pour « vandalisme » et « violences contre les forces de l’ordre », seraient en détention provisoire.
• À Marrakech, 26 personnes sont poursuivies dans six dossiers pour « violences envers les forces de l’ordre », « participation à un attroupement armé », « incitation en ligne », « dégradation de biens publics et privés », et « possession d’armes blanches ».
• A Kénitra, 17 personnes, dont 9 mineurs, sont poursuivies pour « pillages », « destructions de biens publics et privés », « incendies volontaires », et sont en détention provisoire.
• A Oujda près d’une soixantaine de personnes sont poursuivies pour « violence envers les forces de l’ordre » et « participation à des attroupements nocturnes armés », et 17 autres pour « formation d’une bande criminelle », « attroupement armé » et « organisation d’une manifestation non autorisée », « possession d’armes blanches », « dégradations de biens publics et privés » et « agressions contre les forces de l’ordre ». Par ailleurs, 22 mineurs ont été placés sous surveillance judiciaire, tandis que 7 majeurs ont été mis en garde à vue pour avoir planifié une attaque contre une grande surface et préparé des actes de « vandalisme et de vol ».
• A Kelaat M’Gouna, huit personnes, dont deux mineurs, seraient poursuivies pour « destruction de biens publics » et « incendies volontaires ».
• A Rabat, plusieurs personnes sont poursuivies pour « attroupement armé » et « outrage aux symboles du Royaume ».
• A Ouarzazate, douze personnes font l’objet de poursuites, dont neuf en liberté contre une caution de 5.000 dirhams (environ 500 euros). Une autre, poursuivie pour des jets de pierres sur les flics, est en détention provisoire.
• Une personne arrêtée à Guelmim puis transférée à Casablanca a été condamnée à 5 ans de prison pour « incitation à commettre des délits et crimes via les réseaux sociaux ».

Un roi qui semble toujours hors d’atteinte

Le 8 octobre, une soixantaine d’intellectuels, artistes et militants des droits humains adressent, à leur tour, un courrier au roi, demandant de « traiter les causes profondes et structurelles de la colère ». Les militant.e.s de la GenZ212 attendent désormais « un signe fort » du monarque lors d’un discours qu’il doit tenir le 10 octobre au parlement. La veille, le collectif décide même d’annoncer la « suspension de toutes formes de protestation prévues pour le 10 octobre », « par respect pour sa majesté le roi Mohammed VI que dieu l’assiste et le glorifie ».
Au Maroc, bien qu’il y ait un parlement élu et un premier ministre nommé parmi la formation politique arrivée en tête des élections législatives, le roi, entouré de son cabinet royal, reste seul à la tête du pouvoir. Il préside le conseil des ministres, peut en renvoyer un quand il le souhaite, limoger le chef du gouvernement, dissoudre le parlement, suspendre la constitution, appeler à de nouvelles élections, ou diriger par dahir (décret royal). En plus de son statut politique il est « commandeur des croyants », soit le chef religieux du pays où l’islam est religion d’État. Pour renforcer ce statut, la dynastie des Alaouites, à laquelle appartient la famille royale, se présente comme descendante du prophète Mahomet, rien que ça. Le roi est donc le chef suprême auquel chaque marocain.e doit se soumettre. D’ailleurs chaque année se tient une cérémonie d’allégeance durant laquelle des centaines de hauts fonctionnaires, ministres, dignitaires du régime, députés, élus locaux, hauts gradés de l’armée, de la police et des services de renseignements, se prosternent devant « sa majesté » juchée sur un étalon et protégée du soleil par une ombrelle, le tout retransmis en direct à la télévision.

D’autre part, partout sur le territoire l’autorité du roi est assurée par un appareil administratif et policier officieusement appelé le « Makhzen », depuis les walis et gouverneurs, équivalents de préfets, à l’échelle des régions et provinces, jusqu’aux moqaddems, sorte d’agents de l’autorité à l’échelle des quartiers. La moindre critique du roi est quasiment inexistante tant le Makhzen est efficace. C’est le véritable organe de contrôle de la population, diffusant la crainte du pouvoir et instiguant la délation de tout comportement subversif, autant d’un point de vue politique que moral d’ailleurs, dans un État où, par exemple, sont punis d’emprisonnement les relations homosexuelles et les rapports sexuels hors mariage.

Des luttes qui restent en mémoire

Depuis 26 ans que Mohammed VI a pris la succession du trône à la mort de son père Hassan II, les autorités ont toutefois été défiées par plusieurs mouvements de révolte, alors que la répression s’est montrée toujours aussi féroce. L’un de ceux qui doit ressurgir le plus dans les mémoires des révolté.e.s d’aujourd’hui est certainement le hirak du Rif débuté en octobre 2016. Suite à la mort d’un marchand de poisson écrasé dans un camion-poubelle alors qu’il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par le Makhzen, des dizaines de milliers de personnes ont envahit les rues d’Al Hoceima, capitale du Rif, en mémoire du défunt et pour protester contre leurs conditions de vie. Après huit mois de manifestations et rassemblements incessants, des discours questionnant de plus en plus ouvertement la légitimité du Makhzen, puis l’interruption du prêche d’un imam appelant à stopper le mouvement, les autorités finissent par arrêter des centaines de personnes. En réaction, le 20 juillet 2017 se tient une grande marche pour leur libération, lors de laquelle un manifestant est blessé à la tête par une grenade lacrymogène dans des affrontements avec les flics. Plongé dans le coma il décède quelques semaines plus tard. Quand aux personnes arrêtées, environ 500 sont condamnées à des peines de prison, quatre prennent 20 ans pour « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État ». Récemment, le plus médiatique des détenu.e.s du hirak du Rif, Nasser Zefzafi, a fait sortir de sa prison une lettre en soutien à la GenZ212, et l’appel à la libération des prisonnier.e.s a été scandé plusieurs fois dans des rassemblements.

Les mémoires sont aussi évidemment marquées par le mouvement du 20 février en 2011, dans le sillage des printemps arabes, avec ses manifestations critiquant le régime pendant plusieurs mois, des postes de police attaqués à différents endroits, mais aussi neuf morts dont au moins trois assassinés par les flics. En partie récupéré par les partis politiques, islamistes compris, il débouchera sur une réforme de la constitution et de nouvelles élections législatives. Ces dernières années, d’autres révoltes ont été symptomatiques du niveau de misère dans laquelle vit une partie du pays. Fin 2018 des « manifestations de la soif » ont lieu à Zagora contre les coupures d’eau puis, début 2019, des habitant.e.s de la ville minière de Jérada sortent dans les rues durant plusieurs mois suite à la mort de deux hommes qui, comme plein d’autres, gagnaient leur vie en revendant clandestinement du charbon extrait dans des puits désaffectés de l’ancienne mine.

Au Maroc beaucoup de gens doivent faire ce genre de boulots pour vivre, tout en devant faire allégeance à un roi qui, en plus de son statut politique et religieux, contrôle le plus grand groupe financier du pays, Al Mada, regroupant de multiples filiales dans la banque, la grande distribution, l’immobilier, les télécoms, l’énergie et, historiquement, les mines. Avec son entreprise Managem, la famille royale, à la tête d’une fortune de plus de 6 milliards de dollars, exploite une dizaine de mines d’or et d’argent dans les régions les plus pauvres du pays, aggravant les conditions de vie par l’accaparement de l’eau et la pollution. Celle d’Imider, au sud de la chaîne de montagne du Haut Atlas, est bien connue car depuis les années 80 des habitant.e.s s’y opposent. A partir de 2011, des opposant.e.s ont même coupé l’alimentation en eau de la mine, tout en montant un camp pour occuper le site autour de la vanne.

Coupe du monde, CAN, TGV, … Le Maroc des grands projets

Dans les manifestations de ce début octobre, de nombreuses fois ont été pointées du doigts les dépenses faramineuses pour la construction des stades devant accueillir la coupe d’Afrique des nations (CAN) en 2026 et la coupe du monde de foot en 2030. A Tanger et Casablanca, au tout début du mouvement, les écrans installés dans les rues affichant un décompte avant le début de la CAN ont même été hackés pour y diffuser des insultes contre les flics et des revendications pour la santé et l’éducation. Pendant les rassemblements des slogans critiquaient des infrastructures coûtant des milliards en comparaison avec le piteux état des hôpitaux où les patient.e.s doivent parfois apporter leurs propres draps et matériel médical. Comble de l’indécence le tout nouveau stade de Rabat comprend, en sous-sol, une clinique flambant neuve destinée aux sportifs… Pour 2030, les autorités ont annoncé en grande pompe la construction d’un stade de 115 000 places, soit le plus grand du monde, pour un coût de 5 milliards de dirhams (environ 500 millions d’euros). Et puis, à l’approche des compétitions, le Makhzen mène des programmes d’éviction des pauvres dans les quartiers centraux des grandes villes. A Casablanca, depuis 2024, des centaines d’habitations ont été détruites dans l’ancienne médina et leurs occupant.e.s relogé.e.s dans des quartiers excentré.e.s, pour construire à la place une large avenue royale reliant la grande mosquée Hassan II.

Si les chantiers pour les coupes de football cristallisent les tensions, le décalage entre des grands projets capitalistes sollicitant des investissements massifs et le niveau de vie local concerne tous les domaines. Ces grands projets sont souvent guidés par les intérêts d’investisseurs étrangers, émiratis, chinois et français en tête. Un jour peut-être la tempête qui, lors des chaudes nuits du 30 septembre au 2 octobre, a fait valdinguer des banques, des supermarchés, des comicos et des agences de transfert d’argent, se dirigera jusqu’aux infrastructures de ce capitalisme néocolonial. Peut-être, par exemple, qu’elle atteindra la nouvelle ligne de TGV reliant Tanger à Casablanca (320 kilomètres en tout), commandée en 2010, pour 3 milliards d’euros, au groupe français Alstom qui s’est refait un pactole d’1 milliard d’euros en vendant 18 nouvelles rames de train en 2024. Peut-être même que cette tempête passera plus au Sud, là où convergent désormais les regards voraces des grands groupes français spécialistes de la transition énergétique…

Hydrogène vert et néocolonialisme au Sahara Occidental

Le Sahara Occidental, un territoire de plus de 260 000 km², est occupé et administré par l’État marocain sur 80 % de sa superficie depuis 1975 bien que l’ONU le considérait encore jusqu’à peu comme « non autonome » et qu’une organisation armée sahraouie, le Front Polisario, contrôlant les 20 % restant, en revendique toujours l’indépendance. En octobre 2025, le conseil de sécurité de l’ONU a finalement reconnu un plan visant à faire de ce territoire une région autonome sous souveraineté marocaine, validant un processus de colonisation débuté par des années de guerre et de massacres, et poursuivi par l’occupation, la répression et la prédation économique.

Dans la zone occupée par les autorités marocaines, les tensions s’étaient ravivées en 2010 lorsque plus de 15 000 sahraoui.e.s ont monté un campement à Gdeim Izik en périphérie de Laayoune pour protester contre leurs conditions de vie. Le démantèlement du camp par les flics s’était soldé par au moins une dizaine de morts dont plusieurs policiers. En 2020 le conflit armé entre l’armée marocaine et le Front Polisario avait même repris après 20 ans de cessez-le-feu. Aujourd’hui les tensions sont toujours bien palpables mais pas de nature à freiner la nouvelle ruée vers l’or « verte ».

Car si le Sahara Occidental est historiquement exploité pour ses ressources halieutiques et ses gigantesques gisements de phosphates, servant à la fabrication d’engrais agricoles, c’est désormais son exposition aux vents et son ensoleillement qui attirent les investisseurs. Ces conditions climatiques en font une zone très rentable pour la production d’énergies « vertes » et donc de carburant décarboné, comme de l’« hydrogène vert », dérivable en ammoniac, nécessaire à la production d’engrais azotés. En mars 2024, le royaume a lancé son « Offre Maroc », un appel à venir exploiter un million d’hectares déjà identifiés. Il se voit répondre à 4 % de la demande mondiale d’ici 2030.

Alors que les relations diplomatiques entre la France et le Maroc étaient en crise depuis 2021, après que les services secrets marocains aient été accusés d’espionner, entre autres, le portable de Macron, à l’aide du logiciel israélien Pegasus, elles se sont vite revigorées quand ce dernier a annoncé, en juillet 2024, qu’il soutenait la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Trois mois plus tard était organisée en grande pompe une visite du président français accompagné de neuf représentants de groupes énergétiques, avec des gros contrats à la clefs.
Ainsi, Engie va investir 15 milliards d’euros en partenariat avec l’office chérifien des phosphates (OCP), le plus grand groupe minier marocain, dans six projets liés aux énergies renouvelables, à l’ammoniac vert et au « dessalement durable ». A côté de la petite ville de Chbika, Total va construire et exploiter un centre de production d’ammoniac vert destiné à l’export sur le marché européen. Puis, à Dakhla, MGH Energy a signé un contrat pour construire une usine de e-fuels tandis qu’HDF Energy projette d’y bâtir une giga-usine capable de produire 200 000 tonnes d’hydrogène vert par an. Par ailleurs, tous ces rapaces sont bien accompagnés par l’agence française de développement (AFD), conforme à ses missions néocoloniales visant à soutenir les intérêts de la France dans le développement capitaliste de ses anciennes colonies et du reste du dit Sud global.

Bref, avec tous ces projets, il y a de quoi tapisser d’éoliennes et de panneaux solaires polluants des milliers d’hectares de désert, le tout pour faire tourner l’agro-industrie dévastatrice partout dans le monde. Au Sahara Occidental comme ailleurs, la fameuse transition énergétique n’est rien d’autre qu’une nouvelle conquête afin d’exploiter toujours plus la planète et ses ressources.


L’appétit des exploiteurs n’a pas de limites et tant qu’ils pourront continuer leurs sales affaires les pauvres en subiront toujours les conséquences. Au Maroc, la propagande du Makhzen, bien relayée par ses influenceurs baltajias (nom donné aux pro-monarchie), brouille les pistes en alimentant sans cesse le discours nationaliste selon la devise « Allah, la nation, le roi » et ciblant l’ennemi algérien ou sahraoui. Mais, comme le montre cette dernière révolte, nombreu.ses.x sont celleux qui savent très bien où se trouvent les responsables de leur misère et comment les attaquer.

Solidarité avec les révolté.e.s du Maroc, de Madagascar, du Népal, d’Indonésie, du Pérou, et du monde entier !

Contre tous les pouvoirs, liberté pour toustes !

Posted in brochuresTagged genz212, maroc, révolte

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  • [Chypre] Attaque à la bombe de peinture contre l’hôtel Nyx
  • [Allemagne] Les coeurs révolutionnaires brûlent éternellement – initiative en la mémoire de Kyriakos
  • [Grèce] Manifestation en la mémoire de Kyriakos, et vengeance contre les keufs le lendemain
  • [Brochure] الأمل (Al Amal) / Espoir #5 : Soudan, Maroc, Tunisie …
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  • [Indonésie] L’affaire de Eat partiellement soumise au tribunal
  • [Indonésie] Des nouvelles des compas emprisonné.es et leur adresse postale
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  • [Allemagne] Attaque incendiaire contre la voiture du président du groupe parlementaire de l’AfD
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  • [Grèce] Attaque incendiaire contre le domicile d’un flic anti-émeute
  • Pour que nos larmes deviennent des armes : appel à tout détruire la semaine du Tdor
  • [Palestine] Libération de 1968 prisonnier-es suite à l’accord de cessez-le-feu
  • [Canada] Améliorer la ventilation du comico !
  • [Congo RDC] 9 prisonniers s’évadent de la centrale du Tanganyika
  • [Suisse] La prison de Chaux-de-Fonds connaît un coup de chaux !
  • [Canada] Action contre l’industrie de l’armement en solidatité avec la Palestine
  • [Canada] Fuck Microsoft, fuck AI, fuck le techno-capitalisme
  • Nouveaux désinvestissements de complices du génocide en Palestine
  • [France] L’isolement de Rédoine Faïd suspendu !
  • [Brochure] Avec le coeur et la rage – Compilations de textes et d’actions autour de l’affaire d’Ampelokipi (Athènes)
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  • [Belgique] Mahmoud suicidé au 127bis, répression et révoltes dans le centre fermé
  • [Népal] Des anarchistes népalais sur le renversement du gouvernement
  • [Italie] Anan Yaeesh en grève de la faim
  • [Népal] Dans le sillage de la révolution, un nouveau Népal émerge
  • [Suisse] Blocage historique à Genève contre le Génocide à Gaza et en soutien à la flottille
  • Le journal l’Envolée n°63 est sorti !
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  • [France] Crever des pneus en une belle après-midi ensoleillée
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  • [France] Les matons passeront leurs fins de vacances à l’hôpital plutôt qu’à la mer
  • [Frace] L’astuce ultime pour s’évader de taule sans sanction : la paperasse administrative
  • Octobre : mois de mémoire et d’action pour l’anarchiste révolutionnaire Kyriakos Xymitiris
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