Quelques notes sur les récents évènements et ce qu’il s’est passé de nouveau dans le mouvement en solidarité avec la Palestine.
Initialement publié le 07/06/2024.
Depuis le lundi 27 mai, un phénomène marquant est apparu dans le paysage des manifestations pour la Palestine : le retour des manifestations sauvages. Catalysées en grande partie par le massacre tragique survenu au camp de Rafah, ces manifestations ont résonné comme un cri de désespoir et de détermination face à l’inaction apparente des autorités et à l’ampleur toujours croissante de la violence en Palestine après des mois de mobilisation intense. Elles signent un tournant dans le mouvement en France, marqué dorénavant par un débordement des cadres de mobilisation, des tactiques plus offensives et une confrontation explicite avec la police.
Cette radicalisation des manifestations en France trouve un écho à l’international, où la solidarité pour la Palestine s’est également intensifiée.
Dans un contexte international où de nombreux militant.es ont réalisé qu’iels ne peuvent compter que sur elleux-mêmes pour organiser la solidarité, la journée d’action du 15 avril a été un tournant majeur. Des actions de sabotage, de blocage et d’occupation de locaux d’entreprises complices du génocide en Palestine ont eu lieu à travers le monde. Les universités, souvent considérées comme des lieux de débat et de mobilisation, ont été investies, d’abord de manière relativement pacifique, puis de façon plus directe et radicale.
L’exemple de la « Casbah libérée Basel Al Araj », née de l’occupation de l’Institute of Politics de l’université de Chicago, illustre cette évolution. Ses principes fondamentaux mettent en avant le refus de toute collaboration avec l’État et ses institutions, privilégiant une approche autonome et solidaire pour assurer la sécurité et le soutien mutuel des militant.es.
En France, comme ailleurs, trop de personnes ont cru en la possibilité de faire pression sur les gouvernements ou les instances judiciaires pour mettre fin au génocide en Palestine. Le retour des manifestations sauvages est une réaction à cette impuissance ressentie, une affirmation que seule une action directe et déterminée peut réellement faire bouger les lignes. Confronté.e.s à la réalité du génocide qui continue de se dérouler sous nos yeux de façon toujours plus cauchemardesque, la seule conclusion logique est d’intensifier et de radicaliser nos actions. Pourquoi se contenter de boycotter quand on peut agir directement, en éclatant ou en pillant des symboles du colonialisme et du capitalisme ? On ne peut pas à la fois vanter la lutte armée de la résistance palestinienne et ne pas risquer notre propre confort ici, loin à l’abri du cauchemar génocidaire. Se donner les moyens d’arrêter ce génocide, de détruire l’ordre de ce monde, n’implique qu’une seule chose : il faut prendre les risques qui accompagnent nos idées
Cette réapparition des manifestations sauvages trouve aussi ses racines dans une frustration croissante vis-à-vis des manifestations traditionnelles, souvent encadrées par des organisations et étouffées par un dispositif policier. Le 1er mai a été un exemple marquant de cette dynamique, où malgré la présence massive des forces de l’ordre, la détermination des manifestants a persisté jusqu’à la fin, exprimant une colère et une volonté de changement difficilement contenues. Dans un même état d’esprit, à la fin de la manifestation du 1er juin, la destruction d’un fast-food et d’une banque, puis la confrontation avec les flics, ont montré même brièvement la possibilité de mettre en œuvre des tactiques offensives soutenues par l’ensemble des manifestant.e.s pro-palestinien les plus déterminé.e.s. Le temps des pacificateur.rices était enfin révolu.
Nous n’avons rien à attendre de la respectabilité
Les principales organisations du mouvement pour la Palestine ont trop souvent cherché à se faire entendre par le biais de différentes stratégies légalistes (boycott, pétitions, etc.) et ont ainsi supposé qu’il était possible de se faire écouter par l’État tout en adoptant des mots d’ordre de mobilisation suffisamment consensuels pour éviter d’être accusées de vouloir perturber l’ordre public. Si cette approche peut se comprendre (nous ne sommes pas tous.tes égaux.ales face à la répression et à la justice), il est surtout évident qu’elle n’a fait que rendre les mobilisations de plus en plus routinières. Lorsque les manifestations spontanées ont réapparu, ce cadre a été partiellement brisé, mais pas suffisamment. Trop souvent, les élu.e.s de La France Insoumise sont mis en avant, voire ont été acclamé.e.s par la foule. Ne soyons pas dupes, la stratégie de LFI est uniquement électorale. Nous n’avons pas besoin de symboles ou de figures pour mener une lutte de solidarité internationale.
Pas besoin non plus d’avoir un carnet de revendications. Le colonialisme et le capitalisme se manifestent sous diverses formes, souvent interconnectées et soutenues par des structures de pouvoir établies. La destruction matérielle des symboles de ces systèmes oppressifs représente un acte de résistance significatif, qui mérite d’être intensifié. Lorsque nous ciblons la France, nous ne faisons pas que défier un État-nation, mais nous attaquons directement les mécanismes du colonialisme qui perpétuent la violence et mènent des stratégies de contre-insurrection en Kanaky. Ce même colonialisme est intrinsèquement lié à la situation en Palestine, où la France joue un rôle majeur en soutenant le régime colonial israélien.
En comprenant cette interconnexion, nous reconnaissons que chaque acte de résistance contre les symboles du colonialisme et du capitalisme en France résonne au-delà de ses frontières, affectant également les structures de pouvoir en Kanaky et en Israël. La lutte devient alors non seulement locale, mais internationale, soulignant la solidarité entre les mouvements de libération à travers le monde. En amplifiant ces actions, nous envoyons un message fort contre l’oppression systémique, démontrant que le combat contre le colonialisme et le capitalisme est un combat global.
Multiplions l’action collective
Il est essentiel de reconnaître que l’efficacité d’une action collective dépend de notre capacité à nous organiser en amont. Au lieu d’attendre un hypothétique « mouvement de masse », nous pouvons d’ores et déjà nous regrouper en groupes affinitaires, partager nos idées et décider des actions à entreprendre. Cela implique de se réunir régulièrement, d’échanger nos connaissances et nos compétences et de planifier stratégiquement nos initiatives.
Un aspect crucial de cette organisation collective est de rester vigilant.e. Il est de plus en plus indispensable de se familiariser avec les techniques de déplacement collectif, d’apprendre à échapper aux dispositifs de sécurité et à réagir face à toute éventualité. Sans cet entraînement, les manifestations risquent de se retrouver piégées aux mêmes endroits, confrontées aux mêmes obstacles. C’est par un partage de pratiques collectives que l’on peut intervenir dans ces moments de la façon la plus efficace. Le nombre plus réduit de manifestant.es au sein d’un cortège et la décentralisation des manifestations sauvages favorise ce partage et l’adoption de modes d’actions plus offensifs et radicaux. Là où certaines de ces manifestations se contentent de marcher sans autorisation, ou au mieux de jouer au chat et à la souris avec la police, certaines prennent au sérieux le mot d’ordre d’escalade pour la Palestine : barricades, ravalements de façades, départs de feux, caillassage de flics… des moyens d’action jusqu’ici peu présents dans le mouvement pro-palestinien ont fait ainsi irruption, promettant de se propager à tout le mouvement. C’est dans cette perspective qu’une intervention semble pertinente : intensifier les manifestation sauvages, ouvrir des potentialités de radicalisation de tout un mouvement, ne pas se contenter de vouloir reproduire les manifestations sauvages apparues lors la réforme des retraites mais viser une véritable rupture révolutionnaire.
Si la manifestation sauvage offre une voie directe pour agir concrètement, au-delà des mobilisations symboliques, elle ne devrait pas être notre unique mode d’action.
Nous ne devrions pas nous contenter d’attendre que ces manifestations se produisent pour agir. Adopter une attitude passive nous placerait dans une position d’attentisme, ce qui n’est pas compatible avec l’esprit insurrectionnaliste. Au contraire, nous devrions utiliser ces moments comme des opportunités mais également nous organiser en marge des événements de masse sans que la finalité première soit spectaculaire.
Il est important de diversifier nos tactiques. Les manifestations sauvages peuvent être puissantes, mais elles ne sont pas toujours la meilleure option. Elles sont un outil précieux, mais elles ne doivent pas être notre unique stratégie. Nous devons explorer d’autres formes d’action directe. Celles-ci peuvent se coupler à la démultiplication des points d’attaque qu’implique des manifestations décentralisées aux quatre coins de la ville : pendant que les flics se massent à tel ou tel endroit, nous avons le champ libre pour réapparaître à l’autre bout de la capitale, que ce soit pour former un nouveau cortège ou pour profiter de ce que leur attention est ailleurs pour attaquer une cible prédéterminée, et aussitôt redisparaître.
Nous devons combiner l’action spontanée tout en nous préparant de manière anticipée, en diversifiant nos tactiques et en restant fermement ancrés dans nos convictions révolutionnaires. C’est ainsi que nous pourrons véritablement changer la donne.
Le RISI (Réseau insurrectionnel de solidarité internationaliste)
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