Initialement publié sur Marseille Infos Autonomes, le 17/11/2025.
Parti⋅es en octobre dernier pour la Palestine avec une trentaine d’autres volontaires venu⋅e⋅s prêter main-forte aux fermier⋅es pour leur récolte d’olives, on vous raconte pourquoi on est parti, ce qui nous est arrivé, et pourquoi il faut continuer à y aller !
Pourquoi on est parti⋅es
On est parti⋅es début octobre, le projet était de rejoindre la campagne nationale de récolte d’olives en Cisjordanie (la partie nord-est de la Palestine, appelée West Bank).
C’est une campagne palestinienne menée par plusieurs associations et organisations sur place et le Ministère Palestinien de l’Agriculture. Cette initiative sert à protéger l’agriculture et à promouvoir la résilience face à la colonisation israélienne.
L’enjeu était triple
D’abord, bien sûr, pour prêter main-forte aux fermier⋅es qui manquent de main-d’œuvre. Ces fermier⋅e⋅s sont souvent aidé⋅es par leur enfants lorsqu’ils sont jeunes, la plupart partant ensuite dans les villes, et la précarité de leur situation fait qu’il n’est pas possible pour eux de rémunérer des gens pour les récoltes.
Notre présence avait aussi un but dissuasif : les colons (des israéliens installés illégalement sur des terres palestiniennes) font en effet tout pour rendre la vie des fermier⋅es impossible. Vol d’olives et d’oliviers, intimidation, incendies, tabassages, etc. Pour se rendre compte de l’ampleur et de la fréquence des attaques allez voir https://french.wafa.ps/ bien que ce site ne référence qu’une petite partie des attaques quotidiennes. Du coup nous en tant qu’« occidentaux », on est , et c’est vraiment horrible, mieux considéré que les palestinien.nes, qui sont vraiment vu comme des moins que rien par les colons. Bon il vont quand même pas venir parler avec nous ou quoi (et de toute façon on le ferait pas) mais en gros ça fait qu’ils vont y réfléchir à deux fois avant de faire de la merde. Aussi on essaie de bien leur mettre la pression en étant plusieurs à filmer lorsqu’ils arrivent, ça les dérange que le monde voient la merde qu’ils font !
Et puis en dernier lieu être là bas, ça fait du lien entre les luttes et les gens, ça visibilise et médiatise les enjeux en Palestine.
Sur place
Donc début octobre on retrouve l’asso à Ramallah. On nous explique comment les prochains jours vont se dérouler puis on va sud de Naplouse (Nablus) où on rejoint d’autres volontaires. Le lendemain, après un brief légal et culturel on commence à participer à la récolte des olives. Dans une première famille, nous étions une dizaine, debout à faire tomber les olives sur les grandes bâches étendues au pied de l’arbre. On a des petits râteaux oranges pour faciliter le travail.

Y a aussi des sortes de perches râteaux rotateurs sur batterie pour atteindre les olives tout en haut. Assis⋅es par terre on trie aussi, sépare les olives pourries des bonnes, les branchettes on les tej. On met tout dans des sacs, types sacs à gravât.
On est plein, ça va si vite, les arbres sont rapidement vidés de leurs fruits, c’est ouf.
La cueillette est entrecoupée de café cardamone, glace, et bouffe.

On bouge en caisse dans un autre de leur champ.
Le fermier présentent nous dit que c’est incroyable parce que ça fait des années qu’il n’a pas pu cueillir d’olives dans ses champs car les colons ont construits des baraquements juste au dessus. On les voit bien, nous surplomber. Il dit que seul, il lui aurait fallut une semaine pour tout cueillir, et une semaine seul et en tant que palestinien s’est juste impensable, trop risqué. Donc là, à 10 et avec des occidentaux, ben ça l’a fait.
Nous on a pas l’impression d’avoir fait quelque chose d’impressionnant, mais on sent vraiment la reconnaissance, l’espoir et plein d’autres émotions dans ce qu’il dit, c’est vraiment fort de ressentir à quel point c’est un geste puissant d’être là à ses côtés et de le soutenir dans sa lutte. Parce que pour beaucoup, même pouvoir être sur leur terre, même quand il n’y a plus d’olives parce qu’elles ont été volées par les colons, même ça c’est un symbole de résistance de ouf. Revendiquer leur terre.
Le lendemain, on est le jeudi 16 octobre, on part à plus, on est une trentaine, à 10km de là où on est logé⋅es.
On commence à récolter, en 5min, deux colons en quad arrivent et nous menacent. Ils sont armés de fusils automatiques, ça fait flipper. Tu te dis qu’un coup peut partir à tout moment, vraiment des gros fafs.
On suit les instructions des deux fermiers présents. On continue de cueillir. Les colons ne s’approchent pas de nous mais confrontent le fermier, la tension monte. On continue de cueillir. L’armée arrive. On va rester 40min à tenter de récolter le plus d’olive qu’on peut et à faire de la résistance par notre présence.

À un moment on nous dit qu’il faut partir, on remonte dans le bus.
Il est tôt encore, autour de 9h, la journée n’est pas fini, on se dirige vers Burin, à 15min. À peine après avoir commencé la récolte que l’armée arrive (ils nous avait sûrement suivi de loin depuis le premier endroit), et cette fois ci, le fermier, nous fait partir directement. On va tous⋅tes dans sa maison se réfugier, pour un petit déj-débrief.
Mais là, l’armée nous suit ! Encore !
À priori on était dans une zone militaire, et sa maison aussi est dans la zone ! On apprendra plus tard qu’elle à été décrétée 24h avant, comme la plupart de leurs arrêtés.
D’après l’avocate Léa Tsemel (avocate pro-Pal), « c’est la stratégie d’Israël pour contrer le soutien des volontaires internationalistes qui viennent sur place ». Les israéliens bouffent comme ça aussi le territoire des palestinien.nes.
L’armée veut voir nos passeports. On refuse, on attend la police (qui est la seule ayant le droit de demander à les voir, normalement).

On se dit qu’elle ne viendra pas mais elle finit par arriver. On donne nos passeports. On monte dans le bus car l’armée veut nous raccompagner jusqu’à la fin de la zone militaire.
Surprise on arrive au comico, lolllll
La police ment, choqué
lol
Là on attend dans une pièce de 16m², a 32 toujours. On nous prend nos téléphones. On est ensuite conduit à la frontière Jordanienne, on se dit ça y est on est expulsé⋅es. On descend, 7 d’entre nous auront de longs interrogatoires car iels portaient des casquettes et t-shirt à l’effigie de l’association (asso classé comme « terroriste » par les israéliens).
Nous autres on attend dans le bus. Malgré la situation on est toujours plutôt optimiste, dans le bus on stress un peu mais on se remonte le moral, on emmerde comme on peut les flics en disant qu’on comprend pas, qu’ils nous faut un traducteur⋅ice, en leur posant mille questions, en allant tous⋅tes tout le temps au toilettes, etc.
À ce moment là, on se dit qu’il y a toujours des chances qu’on soit relâché en Cisjordanie.
Tout le monde revient dans le bus,et on repart vers la Palestine, victoiiiiiire.
Sauf que non, retour au comico, dans la même salle, il est 22h, on ne sait toujours pas si on est arrêté.es. Là on nous prend nos empreintes (de force), photos, et on nous interroge. On a un avocat au tel, mais qui à l’air dépassé et on dirait qu’il ne sait même pas ce qui peut nous arriver.
Ca devient un peu chaud, fait chier, on avait pas prévu d’être (aussi) fiché en Israël ! Est ce qu’on va avoir un procès ? Est ce qu’il vont juste nous expulsé ? Combien de temps on va rester entre leurs mains ? On a vraiment 0 réponse à ces questions à ce moment là, rajoute à ça que certain.es d’entre nous sont séparés des autres et qu’on a plus de nouvelles d’elleux, on comment un peu à flippé…
Au moins ça y est ça c’est clair, on nous annonce qu’on est arrêté, et accusé de terrorisme, entre autre.
Ça dure longtemps, au petit matin, en sortant de notre nuit blanche, on est amené devant la police de l’immigration à Tel Aviv. Rebelote : empreinte, photo devant le drapeau israélien, interrogatoire.
Ensuite on est jeté dans ce qui s’apparente à un CRA chez nous (Centre de Rétention Administratif) : la prison de Givon.
Là l’ambiance tombe encore un peu plus bas, on s’attendait pas, enfin on avait espoir plutôt de pas passer par cette case là ! Les matons c’est des hargneux, ils veulent te faire flipper, te faire comprendre que t’es en taule et que tu vas plus rigoler, ça marche assez bien franchement. Tu te sens vraiment un moins que rien, entre cris, humiliations, on était vraiment déshumanisé.
Ça c’est donc vendredi matin.
On y restera jusqu’au mardi 21 octobre matin. Quatre longs jours. Dans la prison, on est séparé⋅es des autres détenu⋅es mais on se retrouve par petits groupes de 5-6 de gens de l’asso, ça fait du bien de pas être solo là dedans !
On a 3 repas/jour, une promenade de 20min, on a vu le docteur une fois le samedi, et l’ambassade le dimanche. On a pas pu appeler et prévenir nos proches, un⋅e avocat⋅e ou l’ambassade. C’était dur de ne pas savoir combien de temps on allait rester enfermé. Dur de se réveiller le matin, de voir qu’on était encore là dans leur cellules miteuse. Les matons étaient ultra dures verbalement avec nous (ou alors nous ignoraient complètement, t’avais l’impression de ne pas exister), passaient toutes les 45min pour voir si on étaient toujours là, passaient 16 fois la nuit en allumant la lumière.
Ils sont même passé un jour avec un énorme bâton (on a flippé au début) dans la cellule en sondant partout le sol pour voir si on avait pas construit un tunnel pour s’évader ! Faut croire qu’on leur faisait peur après tout héhé.
Askip l’année dernière des gens avaient réussi à s’échapper en creusant un tunnel avec des ptites cuillères délirrree.
Bon après rien à voir comme condition d’enfermement et de traitement par rapport à des palestinien⋅nes, on a clairement eu le traitement européen. RAV. Les fermiers avec qui on avait fait la récolte se sont d’ailleurs aussi fait embarqués et emprisonné le même nombre de jour que nous, mais on était visiblement par au même endroit. Un gars de l’asso à lui carrément été tabassé violemment.
Le mardi, la quinzaine de français.es et d’espagnols sont expulsé⋅es par voie terrestre en Jordanie, et on rejoint Amman, la Capitale, dans nos survêts gris de prison, avec un sac poubelle orange fluo dans lequel se trouve les affaires avec lesquelles on a été arrêtés. Et voilà, nous voilà libre. Pour partir, on sera tous⋅tes obligé de payer nos billets d’avion.
Les autres nationalités (UK, Italie, Irlande, Allemagne, Grèce) seront directement reconduites à l’aéroport et mises dans des avions au départ de Tel Aviv. Et les 4 personnes des US resteront elleux deux jours de plus en taule… Avant de finalement être mis.es aussi dans un avion.
Bon grosse dinguerie qui nous est arrivé là, mais c’était la première fois que autant de volontaires se faisait prendre et déportr comme ça. On avait entendu que c’était possible, mais de manière très isolé, pour une ou deux personnes quoi. Là ils ont fait un gros coup !
Nos copain⋅es qui ne se sont pas fait arrêter y sont encore, et ça se passe relativement bien pour elle⋅ux. Il y a forcément des moments tendus avec les colons, parfois avec l’armée, mais « normalement » après leur coup de pression, on part, ils veulent juste qu’on dégage, nous faire peur, et faire régner ce climat de stress permanent pour les habitant⋅es…
Pourquoi il faut y aller
Ce qu’il s’est passé pour nous c’était intense, mais c’est rare, on ne veut pas en racontant et médiatisant démotiver des gens à partir.
Malgré le peu de temps qu’on est resté là bas, c’était vraiment ouf de pouvoir être sur le terrain, de soutenir directement la lutte palestinnien⋅nes et le sentir, de rencontrer ses militant⋅es, ces fermier⋅es et tous les autres.
Aller là-bas pour soutenir la lutte ça nous a fait du sens et ça continue à en faire. Israël peut pas expulser tout le monde, et plus on y sera à y aller plus ça les fera chier et galérer !
Malheureusement pour nous, plus possible de s’y rendre à nouveau tant que la Palestine ne sera pas libre, on est interdit de territoire pour une une durée encore inconnue (mais sûrement 99ans).
Après on veut dire que c’est pas le seul ou le meilleur moyen de lutter avec la Palestine, loin de là. Aussi on peut y aller parce qu’on a des privilèges matériels et psy qui nous le permettent, de la thune, des papiers européens, pas beaucoup de responsabilités qui nous retiennent, etc.
Pas besoin de se rendre sur place pour être pertinent politiquement, mais c’est un des nombreux moyens qui à sa place dans la lutte.
Alors venez on se déter on se prépare, on en parle, et on continue de se mobiliser, en y allant directement, ou par d’autres moyens, la lutte continue !

PS : Y aura surement un autre texte écrit par les kopaines qui ont passé plus de temps que nous là bas, pour raconter plus la Palestine, la vie, le contexte et d’autres trucs qu’elles aurtont envie de partager.