Tiré de Calla’s Newsletter, le 24/10/2025. Cet article a été écrit il y a quelques semaines et date d’avant la grève de la faim désormais déjà débutée (et dont on peut retrouver une première compilation de traductions ici), mais l’analyse qui est faite sur la tactique de la grève de la faim et ce mouvement reste pertinente à lire. Un article plus récent (en anglais) peut être lu ici.
Les grèves de la faim collectives à grande échelle ont le pouvoir de formuler des revendications audacieuses et ambitieuses qui vont au-delà de l’amélioration des conditions immédiates des prisonnier.es. Les Prisonnier.es pour la Palestine en sont clairement conscient.es, comme en témoigne la manière stratégique dont iels ont intégré leurs revendications immédiates concernant leurs affaires judiciaires et leurs conditions de détention dans une attaque plus large contre Elbit Systems. Par exemple, iels affirment que leur droit à un procès équitable devrait inclure la transparence concernant toutes les réunions qui ont eu lieu entre les responsables britanniques, israélien.nes et d’Elbit, ainsi que « toute autre personne impliquée dans la coordination de la chasse aux sorcières menée actuellement contre les militant.es et les activistes ». De cette manière, la grève de la faim s’inscrit dans la continuité des actions directes qu’iels auraient prétendument menées contre la même cible ennemie à l’extérieur des murs de la prison, iels se battent simplement sur un nouveau terrain.
La grève de la faim marque une escalade significative de la résistance en réponse à la discrimination et aux mauvais traitements dont les prisonnier.es de Pal Action ont été victimes derrière les barreaux (privation de services religieux appropriés et du Coran, interdiction de tout contact et de toute visite de leur famille, isolement dans des établissements, agressions violentes et confiscation de leur courrier et de leurs biens, ainsi que l’échec de leurs tentatives répétées de faire appel auprès de l’administration pénitentiaire britannique et des autorités gouvernementales).
Elle fait également suite à une grève de la faim de 28 jours menée avec succès par Teuta « T » Hoxha, l’une des 24 de Filton, au début de l’année, lorsqu’elle a exercé une pression internationale importante sur la prison de Peterborough pour qu’elle lui rende son courrier, ses activités récréatives et son emploi à la bibliothèque. Si son emploi dans la prison n’a finalement pas été rétabli, Hoxha a obtenu satisfaction pour toutes ses autres revendications et a réussi à révéler l’existence d’une unité conjointe contre l’extrémisme (JEU) spécialement chargée de cibler, d’isoler et de punir les prisonnier.es pro-palestinien.nes.
En plus de ces succès, la grève de T. Hoxha a eu des répercussions considérables sur le mouvement international de solidarité avec la Palestine, attirant une attention sans précédent sur la répression extrêmement dure à laquelle sont confronté.es les militant.es du monde entier qui ont choisi d’agir directement contre la participation de leur pays au génocide palestinien. Aux États-Unis, les prisonnier.es Casey Goonan et Malik Muhammad se sont joint.es à la grève de la faim de Hoxha par solidarité, ayant eux-mêmes été victimes de persécutions et d’abus politiques similaires. (Il convient de noter que le prisonnier Shine White mène actuellement une grève de la faim en Caroline du Nord pour des raisons similaires).
La pression internationale et la solidarité suscitées par la grève de la faim de T. Hoxha, ainsi que le succès de ses revendications, ont sensibilisé ses co-accusé.es et les prisonnier.es, y compris celles et ceux qui sont incarcéré.es pour des raisons qui ne sont pas ouvertement politiques. Son action leur a montré que lorsqu’on se bat, on gagne. Les militant.es ont laissé entendre que cette grève de la faim imminente bénéficierait d’un soutien plus large de la part de la population carcérale en général.
« Les prisonnier.es sont convaincu.es qu’iels bénéficient d’un soutien massif tant ici qu’à l’échelle internationale, et que les gens se mobiliseront pour agir en leur nom. Cela résulte directement non seulement des actions révoltantes du gouvernement à l’égard des prisonnier.es, mais aussi de sa participation active au génocide à Gaza », a déclaré le Dr Asim Qureshi, directeur de recherche chez CAGE International, partenaire de négociation des grévistes de la faim aux côtés de Prisoners for Palestine.
« Cette grève de la faim, si elle a lieu, sera la première du genre depuis au moins deux décennies. Elle met en évidence la violence du système carcéral au Royaume-Uni, une violence que nous associons souvent à des endroits lointains. De Guantánamo à Gaza, les infrastructures des lois autoritaires antiterroristes mises en place pour emprisonner, réduire au silence et réprimer les actions en faveur de la Palestine et les voix qui s’élèvent contre les guerres et le génocide doivent être démantelées », a ajouté Qureshi. « Les prisonnier.es sont le cœur battant de notre mouvement pour la justice. Nous devons honorer leurs sacrifices et nous lever pour lutter contre les injustices auxquelles iels sont confronté.es. »
Audrey a souligné dans notre précédent entretien qu’il serait essentiel de laisser suffisamment de temps aux sympathisant.es extérieur.es pour se préparer à la grève et maximiser son impact et sa portée. L’annonce d’une grève de la faim collective plusieurs semaines à l’avance soulève la question de savoir si davantage de prisonnier.es internationaux.les y participeront cette fois-ci, et quelle ampleur elle prendra. Les membres du mouvement des prisonnier.es politiques devraient alerter autant de camarades que possible à l’intérieur des prisons afin qu’iels sachent que cet acte de résistance collective est en cours et qu’iels puissent choisir de montrer leur solidarité par des mots ou des actions s’iels le souhaitent.
Prisoners for Palestine et CAGE International ont donné au gouvernement britannique jusqu’au 24 octobre pour répondre à leurs revendications. La grève devrait débuter le 2 novembre, une date chargée d’histoire qui marque l’anniversaire de la déclaration Balfour de 1917, lorsque le Royaume-Uni a officiellement apporté son soutien au colonialisme sioniste en Palestine. Les militant.es du mouvement des prisonnier.es politiques partout dans le monde devraient prendre note de la manière dont les prisonnier.es et leurs partisan.es ont refusé de céder, même face à une répression intense, insistant pour politiser tous les aspects de la grève.
Les prisonnier.es en tant que sujets politiques
Les grèves de la faim ont joué un rôle central dans le mouvement des prisonnier.es palestinien.nes, le mouvement de libération nationale irlandais, la Fraction armée rouge en Allemagne de l’Ouest, en Afrique du Sud, en Inde et ailleurs.
Au cours de l’occupation sioniste, les prisonnier.es palestinien.nes ont mené des grèves de la faim massives, souvent à plusieurs milliers à la fois, unissant différentes factions politiques. Dans les années 1970 et 1980, plusieurs prisonnier.es palestinien.nes sont mort.es à la suite d’un gavage forcé, une pratique réinstaurée par l’occupation sioniste en 2012. Ces grèves ont façonné le mouvement dans son ensemble : le réseau de solidarité avec les prisonniers palestinien.nes Samidoun s’est développé à partir de la grève de la faim des prisonniers du FPLP en septembre/octobre 2011 pour libérer Ahmad Sa’adat, secrétaire général du parti, de l’isolement. « D’Ansar [Palestine] à Attica [New York] en passant par Lannemezan [la prison française où Georges Abdallah était détenu], la prison n’est pas seulement un espace physique d’enfermement, mais aussi un lieu de lutte des opprimé.es contre l’oppresseur », a écrit Sa’adat.
De même, en 2013, les détenu.es américain.es en isolement de longue durée à la prison d’État de Pelican Bay ont organisé une grève massive, qui a conduit 29 000 prisonnier.es californiens à protester, à refuser de travailler et de suivre des cours, et 100 détenu.es de deux prisons à refuser de s’alimenter jusqu’à ce qu’iels obtiennent des réformes. Dans le camp de détention militaire américain de Guantánamo Bay (situé sur le territoire cubain illégalement occupé), des centaines de prisonnier.es ont entamé une grève de la faim et ont été nourri.es de force de manière violente depuis 2002, cette information étant censurée par l’armée. Mansoor Adayfi, un Yéménite détenu indéfiniment sans inculpation, a entamé une grève de la faim et a été nourri de force pendant deux ans. Aujourd’hui libre, il travaille avec CAGE International et soutient la grève imminente des prisonnier.es politiques britanniques. Il s’exprimera lors d’une conférence téléphonique avec elles et eux le 25 octobre.

Une grève de la faim n’est pas une tactique à prendre à la légère. C’est un choix de résistance fait dans des conditions de captivité, lorsque votre corps est la seule arme qui vous reste, puisque l’État vous a privé de tous les autres moyens de résistance.
Nous ne parlons pas ici des gesticulations performatives que sont les jeûnes d’un à trois jours entrepris par des personnes qui ne sont pas emprisonnées, ridiculement qualifiés de « grèves de la faim » pour Gaza. Ces actions sont inefficaces car elles sont menées en dehors du contexte de captivité et n’ont donc aucun poids. Elles sont également offensantes, dans la mesure où elles tournent en dérision les grèves de la faim en récupérant et en édulcorant ce qui est en réalité une tactique réservée en dernier recours aux prisonnier.es soumis.e sà des conditions de détention extrêmes, qui meurent parfois d’une mort lente et atroce au cours de leur grève. Pour celles et ceux d’entre nous qui sont à l’extérieur, avec plus de moyens à notre disposition pour résister, notre devoir n’est pas d’affaiblir passivement notre corps, mais de nous renforcer pour passer à l’offensive.
Écrivant à propos du révolutionnaire palestinien martyr Walid Daqqa et de sa longue histoire de captivité dans les cachots sionistes, Kaleem Hawa a observé comment la grève de la faim, lorsqu’elle est menée en captivité, renverse les rapports de force :
« La grève de la faim bouleverse le scénario habituel, où la docilité est la sentence et la faim le jury. Elle brise les outils des colons, rappelle que la dignité persiste chez le sujet colonisé, reconfigure l’ordre colonial tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison. Le gréviste de la faim ne fuit pas la vie, mais court vers la liberté ; son acte réunit le corps en stase et le moi en isolement vers un tout politiquement engagé, insistant sur le droit de raconter sa propre captivité. »
Malheureusement, certain.es militant.es extérieur.es ont choisi de condamner l’acte de résistance de T. Hoxha, qualifiant l’impulsion de faire une grève de la faim de suicidaire et donc d’intrinsèquement immorale. Iels se sont demandé.es pourquoi elle choisissait de risquer sa vie pour des revendications apparemment insignifiantes telles que la réintégration d’un emploi à la bibliothèque de la prison. Ne pouvait-elle pas simplement laisser tomber ? Pourtant, comme Hoxha l’a elle-même souligné dans un message enregistré adressé à Casey Goonan : « Nous savons tou.te.s les deux qu’il ne s’agit pas d’un emploi à la bibliothèque, mais du principe qui se cache derrière. » L’insistance de Hoxha sur le fait que ce n’est pas le contenu de la revendication lui-même qui importe, mais le principe qui la sous-tend, trouve un écho chez des milliers d’autres grévistes de la faim à travers l’histoire, qui ont préféré risquer et, dans de nombreux cas, sacrifier leur propre vie plutôt que d’accepter les conditions inhumaines de la vie carcérale.
Aux États-Unis, après que Casey ait entamé sa propre grève de la faim en solidarité avec T. Hoxha, environ deux semaines après le début de celle-ci, certain.es militant.es extérieur.es ont également condamné son action comme une forme d’automutilation, allant même jusqu’à la comparer à une overdose de drogue. Cette « automutilation » a été définie en termes physiques et juridiques, mais pas politiques. Étant donné que Casey est diabétique et que sa condamnation n’avait pas encore été prononcée, une grève de la faim solidaire aurait non seulement eu de graves conséquences sur sa santé, mais aurait également pu compromettre son procès. Ces militant.es extérieurs ont en outre affirmé que les sympathisant.es américain.es ne pouvaient rien faire pour aider T. Hoxha, puisqu’elle était emprisonnée dans un autre pays, insistant ainsi sur le fait que l’acte de solidarité de Casey était non seulement imprudent, mais aussi futile. Les camarades qui ont soutenu la grève de la faim de Casey et ont activement défendu le caractère militant de son action ont été publiquement calomnié.es et même blâmé.es pour la lourde peine de 19 ans infligée par l’État quelques semaines après la fin de la grève.
Ces exemples d’attaques et de dénonciations d’actes de bravoure, de solidarité et de résistance fondées sur des principes au nom de la « préoccupation » et de la « sécurité » ne sont pas isolés. Ironiquement, alors que ces voix prétendent que ce sont ceux et celles qui défendent une résistance fondée sur des principes qui constituent une menace et un danger pour les prisonnier.es, c’est précisément l’insistance à condamner et à décourager la résistance à la répression étatique qui représente la tendance la plus dangereuse de toutes. Comme l’a observé Shaka Shakur, un prisonnier politique New Afrikan, dans un récent entretien :
« Nous [la gauche américaine] avons tendance à essayer de lutter dans les limites fixées par l’oppresseur. Vous ne pouvez pas dire que vous êtes anti-État, anti-gouvernement, anti-capitaliste, anti-impérialiste, et que toute votre organisation et votre conception de la résistance se situent dans la légalité, les limites, les frontières de votre opposition, permettant ainsi à votre opposition de dicter vos stratégies et vos tactiques. Cela reconnaît une certaine légitimité au système même que vous dites vouloir détruire, démanteler ou changer. Vous êtes donc déjà condamné.e. »
Dans le même entretien, Shakur étend sa critique du pacifisme, qu’il considère comme un obstacle au progrès de la gauche américaine en général, à la culture du soutien aux prisonnier.es et à l’organisation anti carcérale en particulier :
« Vous savez, je pense que c’est une erreur tactique, une erreur stratégique, que lorsque vous parlez de soutenir les prisonnier.es, en particulier les prisonnier.es politiques, eh bien, un mouvement qui dit soutenir les prisonnier.es politiques ou les prisonnier.es de guerre, mais qui se contente de grogner sans jamais mordre, est un mouvement factice. Si l’État sait qu’il peut venir ici et me tuer, orchestrer mon meurtre, sans aucune répercussion réelle ni aucun effet derrière, cela en dit long sur le sérieux du mouvement qui nous soutient et c’est une tragédie. Malheureusement, nous sommes trop nombreux.ses à être tombé.es dans ce piège. »
Shakur note également que le concept de solidarité avec les prisonnier.es a été réduit à un simple soutien matériel ou technique, par exemple en envoyant de l’argent ou des lettres mais pas politique, une critique que nous avons également soulevée ailleurs. Il en résulte que lorsque des prisonnier.es sont victimes de répression, voire de meurtre, en raison de leurs opinions et actes politiques, les soutiens extérieurs n’imposent aucune conséquence équivalente au système pénitentiaire. Shakur poursuit :
« Alors, quand on parle d’entraide et de soutien mutuel, où cela mène-t-il à d’autres choses, comme d’autres niveaux de résistance, de lutte et d’action directe ? Pourquoi tous.te.s nos aîné.es doivent-iels attendre d’avoir 70 ou 80 ans et d’être sur leur lit de mort pour être libéré.es et relâché.es ? Vous voyez ce que je veux dire ? Et donc, quand on parle du concept d’abolition, qu’est-ce que cela signifie réellement ? Comment pouvons-nous le concrétiser ? Quelles sont les étapes à suivre pour accentuer ces contradictions et intensifier la lutte et la résistance afin de parvenir à l’abolition ? Essayons-nous d’aider nos camarades en prison à être à l’aise, ou essayons-nous de rendre ces enfoirés ingouvernables ? Vous voyez, est-ce qu’on essaie d’envoyer de l’argent ou est-ce qu’on essaie de libérer certaines personnes ? »
Face à la répression brutale de l’État, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les concepts de « sécurité » ou de « conseil juridique » prendre le dessus sur notre stratégie politique et notre lutte collective. Si nous privilégions tou.te.s notre sécurité individuelle au détriment de la libération collective, notre lutte ne progressera jamais. Les prisonnier.es politiques sont emprisonné.es pour des actes de résistance politique contre l’État, leur combat pour la liberté doit donc également être mené sur le terrain politique.
L’histoire des grèves de la faim menées par les prisonnier.es montre qu’il s’agit en fait du contraire d’une pulsion suicidaire. Il s’agit plutôt de la réaffirmation de la vie et de l’humanité d’un.e prisonnier.e dans les conditions les plus déshumanisantes qui soient, de l’insistance sur son statut de sujet révolutionnaire alors que l’État l’a réduit à un objet passif. Pour ceux et celles d’entre nous qui sommes à l’extérieur, il est de notre devoir de défendre ce discours et les risques que nos camarades choisissent de prendre, malgré nos préoccupations personnelles pour leur sécurité et leur bien-être.
Le silence est fatal. Alors même que la grève de T. Hoxha et Casey attirait l’attention, de nombreuses organisations importantes de solidarité avec la Palestine ont échoué, voire carrément refusé, de relayer leurs simples demandes invitant les gens à appeler et à envoyer des mails à la prison pour exiger que T. Hoxha reçoive les soins médicaux urgents dont elle avait besoin. En supposant que le gouvernement impérialiste et génocidaire du Royaume-Uni ne se mette pas soudainement à avoir une conscience et ne réponde pas aux cinq demandes simples de la grève de la faim imminente et cette fois-ci beaucoup plus importante, il est de notre devoir d’apporter notre soutien inconditionnel à celles et ceux qui, à l’intérieur, entreprennent ces actes de bravoure.
Encerclons les cachots où nos prisonnier.es sont détenu.es.
Faisons en sorte que leur résistance et leurs sacrifices résonnent suffisamment fort et largement pour que les murs de la prison s’écroulent.
Pour conclure, citons les mots de l’un des dix républicains irlandais martyrisés lors de la grève de la faim de 1981, Patsy O’Hara, de l’Armée de libération nationale irlandaise : « Après notre départ, que direz-vous que vous avez fait ? Direz-vous que vous étiez avec nous dans notre lutte ou que vous vous êtes conformé.es au système même qui nous a conduits à la mort ? »
Pour les mises à jour, on peut suivre :
- Prisoners for Palestine (Instagram, Twitter, Youtube, website).
- T’s prison notes
- Zahra’s substack
- Filton 24 substack
- CAGE International